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et pourquoi ne pas le dire ?
10 mai 2011

Roger (2)

Roger est un tout petit homme. Comme s'il s'excusait d'être là, comme s'il n'en voyait pas l'utilité.

A l'école il était le voisin de Gaston. Deux bons élèves. Gaston a eu le certificat avec mention et les bourses du lycée. Roger a eu le certificat sans mention et n'a pas eu les bourses. Roger aimait l'école. Gaston est devenu maire. Roger est devenu Roger.

Il avait 12 ans. C'était la guerre. On pouvait commencer plus tôt son apprentissage. A 13 ans il devint boulanger. 25 ans de boulangerie comme apprenti, puis comme ouvrier, puis comme boulanger. Si vous lui demandez, il vous montrera son four qu'il conserve comme une relique. Puis sa maman est morte. Roger était seul. Il a du renoncer.

Et puis un jour on a entendu la voiture des pompiers. Roger est parti à l'hopital. Un mois et demi au grand hôpital et deux mois au petit hôpital. Puis il est revenu chez lui, plus cassé encore, plus courbé encore...mais toujours souriant, toujours courageux. Ses amis lui disaient : "Roger, tu devrais aller à la maison de retraite." Mais il ne voulait pas. Il avait tant à faire. Un jour cependant il s'est résigné. Au début ça lui a déplut, puis il s'y est fait simplement, comme les humbles. La maison de retraite est à 300 m, une demie heure de marche-aller pour Roger. Mais le plus souvent possible, il retourne chez lui, pour... voir, pour chercher quelque objet. Quand je dis pour voir, il ne voit presque plus. Pas plus qu'il n'entend. Mais ...il a des appareils. Celui qui le croise doit bien prendre soin de s'identifier. Reconnu, il aura droit  à ce qu'on lui demande des nouvelles de sa famille, de ses enfants, un par un avec méthode.

A près avoir évoqué Roger, dimanche dernier, Jacques s'est dit : "Tiens, c'est vrai. Il y a bien longtemps que je ne l'ai vu." La chaleur des commentaires lui a donné envie d'aller voir Roger.

Dimanche midi, un autre voisin déjeunait chez Jacques et lui proposa."Et si on allait le voir ?". Il y allèrent. C'est dur une maison de retraite avec des gens qu'on aime. Ce monde de l'âge oublié. Le Voisin et Jacques étaient intimidés. Ils demandèrent Roger. On les amena dans une petite chambre. Roger était en train de ranger ses affaires. Il fallut un certain temps pour qu'il les reconnut. Et tout à coup il redevenait le maître des lieux. Il présenta des chaises. Il raconta ses journées. Il s'ennuyait loin de sa maison. Il raconta ses marches, la lecture des journaux, les sujets qu'il intéressait. Il parla du passé qui devient plus proche au fur et à mesure qu'on s'en éloigne, de ses parents, de sa maison qu'il faudrait vendre pour payer la maison de retraite...de la vie, de sa vie.

Et ce furent 2 hommes émus qui le quittèrent un peu plus tard.

Allez bonne nuit, je cesse de vous parler de Roger. Il n'aimerait pas qu'on lui donne trop d'importance.

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Commentaires
C
C'est un vrai plaisir de vous lire, comme quand vous laissez des commentaires sur le Blog de Marion.<br /> Alors Merci pour ces jolis textes.
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F
En plus d'ecrire et de decrire si bien, vous etes un homme de coeur...Roger a du etre fier et heureux de cette visite innattendue dimanche dernier...Par vos ecrits et vos gestes vous savez nous emouvoir,merci.<br /> Au plaisir de vous lire
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A
Ma chance a été grande de vivre de nombreuses années au très proche contact de personnes lourdement handicapées. Et le faire vivre également à nos enfants. La maladie, la vieillesse, le handicap ne sont pas pour nous source de crainte, mais font totalement partie de la vie. Certaines de mes connaissances sont incapables d' entrer dans une maison de retraite. Je peux le comprendre, mais j'aimerais tellement que ces appréhensions face à la différence disparaissent. Une visite à une personne âgée enrichit tant. Quand cesserons-nous de cacher ce qui dérange l'éternelle et illusoire jeunesse, en bonne santé, cela va de soi ...
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C
oui, ce n'est pas facile de franchir la porte des maisons de retraite... mais l'effort en "vaut" la "peine" d'autant que si on le fait, c'est souvent pour rendre visite à quelqu'un qui a beaucoup vécu... Quelques questions, et de la boite à trèsors s'échappent des pans de vies, si près si loin...<br /> Roger a dû être bien content !<br /> Et à moi, c'est les visites à ma Tante Germaine partie centenaire et certainement aussi peu entendante que votre ami ;-D que vous me rappelez ce soir
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C
Tout cela est très très touchant Jacques... Et je suis sûre que la modestie de Roger ne souffrira pas de cet hommage que vous lui rendez ici, parce que vous le rendez tellement vivant!
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et pourquoi ne pas le dire ?
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