Roger (2)
Roger est un tout petit homme. Comme s'il s'excusait d'être là, comme s'il n'en voyait pas l'utilité.
A l'école il était le voisin de Gaston. Deux bons élèves. Gaston a eu le certificat avec mention et les bourses du lycée. Roger a eu le certificat sans mention et n'a pas eu les bourses. Roger aimait l'école. Gaston est devenu maire. Roger est devenu Roger.
Il avait 12 ans. C'était la guerre. On pouvait commencer plus tôt son apprentissage. A 13 ans il devint boulanger. 25 ans de boulangerie comme apprenti, puis comme ouvrier, puis comme boulanger. Si vous lui demandez, il vous montrera son four qu'il conserve comme une relique. Puis sa maman est morte. Roger était seul. Il a du renoncer.
Et puis un jour on a entendu la voiture des pompiers. Roger est parti à l'hopital. Un mois et demi au grand hôpital et deux mois au petit hôpital. Puis il est revenu chez lui, plus cassé encore, plus courbé encore...mais toujours souriant, toujours courageux. Ses amis lui disaient : "Roger, tu devrais aller à la maison de retraite." Mais il ne voulait pas. Il avait tant à faire. Un jour cependant il s'est résigné. Au début ça lui a déplut, puis il s'y est fait simplement, comme les humbles. La maison de retraite est à 300 m, une demie heure de marche-aller pour Roger. Mais le plus souvent possible, il retourne chez lui, pour... voir, pour chercher quelque objet. Quand je dis pour voir, il ne voit presque plus. Pas plus qu'il n'entend. Mais ...il a des appareils. Celui qui le croise doit bien prendre soin de s'identifier. Reconnu, il aura droit à ce qu'on lui demande des nouvelles de sa famille, de ses enfants, un par un avec méthode.
A près avoir évoqué Roger, dimanche dernier, Jacques s'est dit : "Tiens, c'est vrai. Il y a bien longtemps que je ne l'ai vu." La chaleur des commentaires lui a donné envie d'aller voir Roger.
Dimanche midi, un autre voisin déjeunait chez Jacques et lui proposa."Et si on allait le voir ?". Il y allèrent. C'est dur une maison de retraite avec des gens qu'on aime. Ce monde de l'âge oublié. Le Voisin et Jacques étaient intimidés. Ils demandèrent Roger. On les amena dans une petite chambre. Roger était en train de ranger ses affaires. Il fallut un certain temps pour qu'il les reconnut. Et tout à coup il redevenait le maître des lieux. Il présenta des chaises. Il raconta ses journées. Il s'ennuyait loin de sa maison. Il raconta ses marches, la lecture des journaux, les sujets qu'il intéressait. Il parla du passé qui devient plus proche au fur et à mesure qu'on s'en éloigne, de ses parents, de sa maison qu'il faudrait vendre pour payer la maison de retraite...de la vie, de sa vie.
Et ce furent 2 hommes émus qui le quittèrent un peu plus tard.
Allez bonne nuit, je cesse de vous parler de Roger. Il n'aimerait pas qu'on lui donne trop d'importance.