Images de prof (2)
Thèse, antithèse, synthèse : On est maintenant dans l'antithèse et ce portrait dans ce tryptique sera celui de l'antithèse. C'est le prof qu'on aurait aimé ne pas connaître et ne pas avoir croisé.
L'élève arrive seulement au début du deuxième trimestre. Plein de soucis familiaux, de santé, de travail, de déménagement...la galère. L'élève arrive dans son nouveau lycée : une petite ville de province où les habitants sont si stables que chaque nouvel élève est un évènement dans une classe. Il est déjà trop en retard, un peu trop vieux, plein de tristesse, un peu trop de soucis à partager à cet âge. Une population qui s'avèrera accueillante mais dont le premier abord est austère comme la vie rude des peuples de ces régions de montagne. La région d'où il vient est une région qu'on n'aime dans aucun pays du monde : "ailleurs". L'élève a de nombreuses lacunes, il lui manque surtout ce premier trimestre, et la connaissance du rythme et de la manière de ce prof qu'hélas il gardera deux ans.
L'homme plutôt petit,une arrogante petite moustache lui barre le visage et lui ajoute de la dureté. Il est vétu d'une blouse blanche, impeccable, celle des chercheurs et des savants dont il n'est pas et ne sera jamais tant l'humilité lui manque que donne la vraie science. Il enseigne des sciences exactes : physique et chimie. Tout en lui respire la certitude. La certitude d'être né au bon endroit, la certitude d'avoir fait les études qu'il fallait, la certitude qu'il est bien plus savant que ses élèves...la domination d'un petit chef arrogant.
Cet élève qui arrive là comme un chien dans un jeu de quilles est une occasion trop facile de montrer sa puissance sans prendre aucun risque. Le jeu des moqueries et la complicité des faibles, les humiliations trop faciles, la nature humaine qui revient au galop avec l'abandon du perdant au profit du plus fort. Un élève trop seul. Une première année difficile. Un élève qui se tait, trop absorbé à rattrapper ce niveau qui lui manque tant. Un passage obtenu au forceps après un examen supplémentaire pour cette année de terminale C tant désirée.
Mais finalement l'élève a trouvé sa place parmi ses nouveaux camarades. Il joue au rugby, sport presque national dans ce lycée, à une place où les talents sont plutôt rares. Peu à peu les complicités s'affirment. La gaïeté lui revient. Quelques petites répliques insolentes et parfois drôles n'arrangeront pas cette antipathie. Une vraie envie d'avoir un bon bac et le courage qui va avec. Mais on ne triomphe pas facilement d'une opposition de principe. Les critiques justifiées au début par le niveau de l'élève deviennent injustes et le bon climat entre les autres professeurs et l'élève donne à cette animosité une force supplémentaire et au professeur une aggressivité renouvelée.
Il faut dire qu'en terminale l'élève en rajoute un peu trop, qui manifestement travaille au rythme des annales et non plus des cours du professeur. Une autorité qui se débine. L'année sera dure. La guerre ne sera pas sans dommages. Une appréciation mortelle sur le dossier des prépas car le garçon veut préparer Saint Cyr. Son appréciation en physique est mortelle : "Avec de tels résultats, peut, à la rigueur, devenir militaire."
Le bac arrive. La dernière manifestation de cette haine ordinaire seront les petits "tss..tss" du professeur pendant l'épreuve de math qu' il surveille . L'élève est plutôt surpris de cette bienveillance apparente, de cette volonté de lui faire découvrir des erreurs...Il se méfie pourtant... et il a bien raison : Il s'agissait de fausses erreurs, des pièges. . Les résultats sont au rendez-vous pour l'élève. Une des rares mentions de la classe, inespérée pour lui mais tellement nécessaire.
Des envies de vengeance. de réplique cinglante mais finalement , et heureusement, il n'y aura que le silence. Il restera à l'élève de cette opposition la découverte des richesses de ces sciences si pratiques et si vérifiables qui allaient livrer encore tant de leurs mystères.
Un goût d'amertume vite effacé par l'arrivée des vacances et l'attente d'un "après" qui sera à la hauteur des rêves.
Et ce n'est qu'aujourd'hui que s'échappe cette "vengeance" littéraire.
Une histoire à l'image d'une journée de printemps sous la pluie, la pluie pourtant tant attendue, et cependant si désagréable, qui révèle les failles des toitures mais qui est promesse de récoltes.
Bonne lecture et bon dimanche.