Madame B.. parle à son "poste".
Elle dit son "poste", madame B, comme ses parents disaient pour leur antique poste de radio qui trônait au salon et qu'ils écoutaient religieusement grésiller. La génération de Madame B. fut celle de la Télévision, puis de la TV, puis enfin de la télé au fur et à mesure que les changements d'abréviation marquaient les changements de technologie. Madame B. est seule, ou plutôt madame B crut longtemps qu'elle était seule. Elle n'eut pas la chance de décrocher ce grand amour dont elle rêva longtemps. Qui d'ailleurs aurait voulu d'elle avec ses deux vieux parents à charge ? Madame B. est belle mais il y a longtemps que personne ne lui a dit. Dans son village on la regarde d'un air amusé ou inquiet selon le dégré de connaissance que l'on a d'elle. Elle parle seule, sourit à tout le monde et a ce doux regard absent des gens qui vivent dans plusieurs mondes à la fois. Les hasards de la vie lui ont permis de garder longtemps un emploi assez confortable dans une entreprise plutôt prodigue et, en retraite, elle ne manque de rien. Si, elle manque d'amis; de ceux qui vous surprennent avec plaisir, de ceux qui s'inquiétent pour vous. Dire qu'elle en manque c'est d'ailleurs trop fort, elle ne se souvient pas en avoir eu un jour. Madame B. pourrait être triste ou malheureuse. Mais que l'on se rassure ce n'est pas le cas.
Car Madame B a un secret. Elle posséde un privilège que la plupart des gens méconnaissent. Elle ne s'en vante pas....et pourtant, si "ils" savaient. Car si madame B passe de nombreuses heures devant son "poste", ce n'est pas pure curiosité. Elle écoute le poste mais ELLE, elle possède un doit de réponse. Droit qu'elle n'utilise qu'à bon escient, sur les sujets importants, ceux sur lesquels elle a un avis. Ce sont les émissions de maison, de décoration ou de jardin ou elle intervient le plus souvent. Le présentateur parle et ni vous, ni moi n'êtes surpris des temps de suspension entre ses phrases. Hé bien ! pendant ces temps, Madame B donne son avis et le présentateur l'entend...et très souvent (vous ne le remarquez pas, mais elle oui) il tient compte de son avis et laisse même souvent apparaître un sourire de reconnaissance.
Ce don, puisqu'on peut appeler cela ainsi, elle le découvrit chez son père qui parlait lui aussi à haute voix, le plus souvent pour manifester son mécontentement. Au début cela la surprit, puis au fil du temps elle appris à discerner ce "don", ce "pouvoir". A partir du jour où elle vérifia elle même son propre don, elle comprit que sa vie allait changer. Madame B ne néglige pas pour autant la tenue de son ménage et de son intérieur. Elle se dit que puisqu'"ils" lui parlent," ils" doivent aussi voir "chez elle", et elle soigne chaque détail. Elle se soigne aussi elle même et juge que ses efforts pour être coquette doivent être à la hauteur de celles de ces hôtes immatériels.
Ainsi madame B est heureuse. Elle n'est plus seule. Personne ne lui a interdit de parler de son secret. Mais qui comprendrait ? Elle tenta une fois de la faire auprès de madame L, la seule qui l'écoute parfois en souvenir de leurs années passées ensemble à l'école. Mais elle comprit vite que madame L ne la comprendrait pas.
Tant pis, elle emporterait ce secret avec elle. Ca vaut bien les bons moments qu'elle passe ainsi. ce monde qui nous semble si compliqué, elle est de ceux qui le maîtrisent. Elle est de ceux qui l'aiment.
Elle aimerait parfois en parler à ce monsieur qu'elle croise le matin tôt lorsque lui part au travail. Elle voit bien qu'il lui sourit. Il a du comprendre. Elle sait bien que ce sourire qu'il a n'est pas gratuit, qu'il aimerait connaître ce mystère qui fait qu'une vieille dame seule, qui parle seule et qui sourit au monde, semble porter le bonheur du monde.
Peut-être lui dira-t-elle, un jour. Peut-être qu'il a déjà compris ?
Petite histoire d'été avant d'arriver à se poser, à casser le rythme des travaux à finir, de la chaleur qui pèse et des muscles fatigués. Envie d'oublier plusieurs morceaux de soi-même qui ont traversé les océans. Envie de les revoir vite. Mais ce sera une autre histoire.
Bonnes nuits et bonnes journées à venir. Jacques est trop content de vous avoir écrit ce petit mot.Je suis trop content de vous avoir écrit ce petit mot.