Les BONS MOTS
L'homme est de retour devant sa table de travail. Doit-on dire table de travail quand l'écriture justement n'est pas un travail mais un bonheur et depuis quelques temps un bonheur partagé ? Ses mains sont encore fatiguées des efforts de la journée. Les doigts manquent encore de souplesse. Mais touche après touche, caractère après caractère, la souplesse revient et avec elle le plaisir. L'écriture de la dernière nuit renvoyait des réponses, relançait des débats, s'amusait d'autres écrits. Et il y eu une petite histoire pour deux petites princesses, de ces histoires où les animaux parlent aux hommes....en tous cas aux enfants. Et il y eut de la lecture. Beaucoup de lecture, des textes qui parfois lui renvoyaient sa propre image. Puis il retourna au lit, aux rêves.
Il retrouve ses amis les mots. Quelques uns sont là sur le bord de la table, l'air bonasse plutôt que bon. Ce sont en effet les bons mots. Il s'en méfie depuis toujours. Depuis que son père lui disait :"Mon fils pour un bon mot tu pourrais aller jusqu'à perdre un ami. Alors utilise-les...mais prends garde." Et c'est vrai que ces bons mots lui ont coûté cher. Dans l'enfance, ils devenaient trop souvent impertinence. Puis ils firent rire mais trop souvent aux dépens des autres et lorsqu'il découvrait leur peine le succès facile se transformait en tristesse. Ils lui valurent ensuite l'ire de quelques supérieurs, parfois mêlée d'incomprehension et souvent de sottise. Aujourd'hui c'est vrai il se méfie d'eux. Il les utilise avec parcimonie.
Dans ses journées de travail trop souvent dur et trop souvent solitaire, il se les dit pour lui, pour occuper le vide, pour occuper l'espace. Il les lance à ces murs qu'ils recouvre de plâtre, ou de chaux. Il les dit à ces vieux bois qui en ont tant entendu dans ces antiques maisons d'hommes. Parfois il les dit au vent, aux étoiles, à la nuit. Pour lui, pour eux, un bonheur égoïste.
Il aime les entendre de la bouche des siens même si parfois ils frisent l'irrespect...mais c'est si bon de ressentir chez d'autres ce qui fit sa vie. Il leur dit à son tour les mises en garde qu'il entendit lui-même. Mais il a très envie qu'ils passent outre, qu'ils outrepassent.
Pourtant ils sont là toujours présents. Bons mots mais faux amis. Une grosse envie de les utiliser pour le doux, pour le bien, pour le bon, pour le beau.
Les bons mots qui sont là le regardent, comprennent ses envies , en sourient d'avance. Ils se montrent sous leur meilleur jour. Ils aiment servir pour le rire, le bon rire, le doux rire, le rire jamais vulgaire. Ils aimeraient servir des maîtres comme ils servirent Cyrano. Ils l'encouragent.
Alors il se les remet en mémoire, ceux qu'il a entendu et qui lui ont plu. Il sait hélas qu'il ne pourra pas s'en servir à nouveau. Ce serait plagiat et le bon mot aime tout sauf la préparation ou la répétition. Il doit venir sur la lèvre comme la rime d'un beau vers, sans effort, sans travail apparent. Mais il ne pourra travailler ce bon mot comme le poête le vers.
L'intermède des bons mots lui a redonné le sourire. Il se détend. Il ferme la parenthèse et prépare un vrai billet, un vrai texte et pas de ces textes de circonstances qui remplissent l'espace et le temps. Mais il est tard déjà et d'autres tâches l'appellent.
Il a juste envie de souhaiter aux quelques égarés qui liront ces lignes : bonne nuit et que douce soit demain votre journée...mes amis.( le mot peut-être qu'il préfère).
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