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et pourquoi ne pas le dire ?
26 novembre 2011

Margot

Elle ne s'appelle pas comme ça mais ça n'a pas d'importance et je ne voudrais pas la troubler en donnant son vrai nom. Je ne sais rien d'elle. Elle est pour moi comme une apparition parfois inattendue  et parfois prévisible. Je veux qu'elle devienne de ma crèche un des plus beaux santons. Je la verrai peut-être ce matin, jour de marché. C'est là que je la croise le plus souvent, au marché ou dans les vides greniers. Je ne sais rien de son âge. On dira qu'elle n'en a pas ou plutôt qu'elle doit avoir le même depuis longtemps. L'âge inconnu des enfants trop tôt devenus grands ou des adultes trop tôt devenus vieux. J'ignore sa vie car je ne suis pas d'ici et je ne veux surtout pas questionner à propos de son passé. Je ne veux savoir d'elle que l'aujourd'hui et le moment où je la croise.

Elle est là affublée de vêtements pour le moins insolites. Une jupe écarlate et de grands collants de laine blanche. Un vieil anorak bleu ciel été comme hiver, laisse apparaître des écharpes impossibles, ou des foulards pailletés. Une longue chevelure, noire, de jais, soigneusement entretenue descend jusqu'à la ceinture. Mais l'âge étant venu, le cheveu est plus rare, trop noir aussi. Sa chevelure et sa bouche édentée lui donneraient l'air d'une sorcière de contes s'ils n'étaient éclairés par un sourire très doux, un regard intelligent et des paroles toujours gentilles.

Elle s'appuie sur un vélo très ancien et aujourd'hui trop grand pour elle. Elle vient de je ne sais où et lorsqu'elle est arrivée à la porte du village, son vélo lui sert de cannes et aussi de cabas. Deux sacoches de toiles cirées, encore plus anciennes qu'elle, et une vieille caisse arrimée de tendeurs lui permettent de ranger ses achats : quelques légumes, quelques maigres achats de nourriture mais surtout des objets. Chacun la connaît, beaucoup la saluent et seuls quelques touristes égarés s'étonnent encore d'elle.

Elle parle à chacun et les jours de vide-greniers sont pour elle des aubaines : autant d'exposant, autant d'occasions de parler des objets. De ceux qu'elle a possédé, de ceux qu'elle a connu, de ceux dont elle a rêvé, de ceux qu'elle va acheter. Ce monde est merveilleux pour elle où on achète pour trois sous les convoitises d'hier qu'elle ne pouvait alors s'offir et que la mode, la plus ingrate des maîtresses, a jeté à la rue sans valeur aucune. Et quand arrive le soir elle revient ramasser ce dont aucun acheteur n'a voulu et que les vendeurs ont laissé sachant qu'ils ne les vendraient jamais.

J'imagine un "chez elle" immense caverne d'Ali-Baba. Je le vois tout rangé, tout classé et je pense à ses jours, je pense à ses semaines où elle navigue parmi ses trèsors.

Je la verrai encore peut-être ce matin. Puis d'autres jours encore. Puis un jour je ne la verrai plus et je saurais qu'elle est ailleurs dans un endroit où tout ce monde de pacotille aura alors un sens.

J'aime savoir qu'elle sourit, savoir qu'elle est joyeuse. Et je la remercie. Elle sera dans la crêche dans les santons les plus proches de la Famille. Les humbles qui sourient, qui remercient de tout et même de leurs misères. Et qui me font comprendre le bonheur qui est le mien, la somme accumulée de remerciements à rendre et oublier toutes les petites misères.

Et si ,Madame Margot, je peux vous demander une faveur, ce sera la grâce de ce sourire si doux sur les choses et celle aussi de n'être jamais rugueux ni ingrat.

Je vous souhaite une bonne journée. Un bon week-end aussi. Dans le froid revenu mais où le ciel il y a quelques heures encore était plein d'étoiles gages d'un soleil d'aujourd'hui.

 

PS : Chers lecteurs à qui je ne répond jamais, sachez que chacun de vos passages est un vrai bonheur et que seul le temps, cet épouvantable maître, m'empêche de vous répondre et de vous remercier un par un.

 

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Commentaires
H
La description que vous faites des personnes qui vous entourent est toujours empreinte de finesse et de sensibilité. Il nous est facile de les "voir", même sans les connaître.<br /> Mais vous qui ne nous voyez pas, comment nous imaginez vous ? si vous deviez faire un personnage type du lecteur-du-blog-de-Jacques pour votre crèche, je serais curieuse de connaître la "bouille" qu'il aurait :-)<br /> <br /> Que votre journée vous soit douce à vous aussi.
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C
C'est juste beau… Merci de votre beau regard posé sur les êtres et les choses...
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N
Merci encore de vos écrits, si beaux ; parfois certains d'entre eux me font reconsidérer mon jugement par rapport aux personnes, et celui-ci en fait partie, car des "Margot", j'en croise souvent dans la rue.<br /> Belle journée.
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H
En fait , Jacques, c'est vous le peintre, vous peignez admirablement les âmes et les visages. Un vrai talent. <br /> Votre Margot, trop tot devenue grande, me parle forcément un peu.
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C
Je ne peux m'empêcher de sourire à la pensée que,parmi les milliers de prénoms existants, vous avez choisi celui de ma fille...vous imaginez le choc!<br /> Votre Margot, même si le temps a volé à son visage quelques dents et flétri sa peau, n'en reste pas moins une belle âme, et vous en parlez tellement bien.
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et pourquoi ne pas le dire ?
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