CV : Jouer à cache-cache....

...avec le temps, avec le travail, avec l'argent. Se demander pourquoi, se demander comment les destins se tracent. On part dans la vie. On cahin-cahane à l'école, entre cancre et très bon élève. Puis on s'approche du bout, on trouve à l'étude un goût encore meilleur qu'au goût de la paresse. Et puis l'étude : un certain goût pour la bonne science dure. On aura un "bon" bac :  On fera une prépa. On passera des concours..et de nouveau l'école. On aimera toujours mêler les lettres et les maths. Une pause militaire dans des paysages de rêves, de neige et de froid et de montagne. On agrandit l'espace. Puis encore l'école, les statistiques, l'informatique. On jongle avec les chiffres, avec la mémoire des machines. On prend plaisir à ce grand jeu. Un stage à la SNCF : on se régale dans ce monde  juste le temps de se demander où et pourquoi tombe la foudre. Puis ce sera l'entrée dans un grand groupe de matériaux de construction. On achète une maison. On prend plaisir au travail des mains. on retrouve les gestes oublié de ces petites familles partis un jour de leurs terres pour rejoindre les villes et les écoles. On travaille et on travaille encore. Et on aime et ça va bien, très bien même.

Un jour la machine s'enraye. On ne sait pas pourquoi. On ne trouve plus le même goût, le même plaisir à ce jeu de l'ambition. On sort. On s'installe seul. On retrouve ses anciens partenaires mais comme clients. On aime la liberté.

Et puis un jour, on joue à la reperdre. On re-essaye la très grande entreprise dans une ville où on est né et qui sent le caoutchouc. On accepte à nouveau le collier un peu rêche. On quitte ses clients. On retourne à la case départ. Mais le greffon ne prend pas. Drôle de société. trop de secrets. Trop de mystère. Nul n'est prophète en son pays ! 

Alors dure est la chute :on galère un peu. Trop. On se dit alors qu'il est peut-être temps de changer vraiment de vie. On quitte son col blanc. On retrouve l'usage de ses mains et les gestes appris dans l'amour de la matière et des maisons. La vie ne sera plus aussi confortable mais finies les attaches, les liens trop dur....et le confort aussi. On réparera les maisons des autres. On entendra une petite fille zozoter : "Jacques, c'est le monsieur qui répare les maisons cassés.". On se reprend au jeu des découvertes, et des re-découvertes des techniques et des matériaux d'autrefois. On fait de belles rencontres. On s'entoure de sympathies et de bienveillance. On apprend ce que veut dire "aujourd'hui" et ce que veut dire "pain quotidien".

On aime cette vie, au jour le jour. Le partage des chantiers. La découverte qu'on est petit...et que c'est bien. On paye tout de suite ses erreurs. On se réjouit de ses réussites. Curieusement les temps de froid sont d'habitude des temps de chantier "au chaud". Tout va bien. De temps en temps, un petit rappel dans le monde des cols blancs...juste pour se dire qu'on n'a pas oublié. Et le temps court, et les enfants grandissent, et la famille renforce ses liens.

Alors ce n'est pas parce qu'il fait froid depuis une semaine, que les chantiers "au froid" sont impossibles, qu'aucun chantier "au chaud" ne montre le bout de son nez, que ce froid va peut-être durer, que les amis des livres (qui pourtant font tout leur possible) n'arrivent pas à vider une tête trop froide....qu'on va se mettre à perdre le moral.

Demain on se lèvera. On descendra à nouveau l'escalier de bois, puis l'escalier de pierre. On réanimera le feu. On prendra le temps de la solitude, de la prière et du matin, et de l'esprit qui se réveille. On décidera de reprendre ses outils. On sortira dans le froid de l'atelier. On rangera. On organisera. On jettera au loin les impressions mauvaises. On se fera des rêves de chaud dans le froid du dehors. On se dira qu'elle est belle cette Provence et ce Ventoux et cette petite abbaye en ruine qui domine le village. On  aimera ce Mistral qui nous amène le froid mais qui est promesse de ciel bleu. On attendra demain dans l'ouvrage du jour et tout sera bien.

A vous aussi, je les souhaite doux et paisibles, et froids et chauds et chauds et froids, ce samedi et ce dimanche.

Et si vous saviez comme ils sont doux vos mots !

Comments

[Héloïse]

Plein de mots chauds dans la tête, mais très peu qui glissent au bout de mes doigts gelés ce matin. Des pensées vers vous, c'est certain.

[SylvieT]

Ce billet nous en apprend un peu plus, juste ce qu'il faut, il ne faut pas trop en dévoiler! Les vies complexes sont intéressantes! A 24 ans j'avais 2 enfants (un garçon et une fille) des gens m'ont dit "c'est bien, t'es tranquille maintenant"! S'ils savaient!! ;) La vie ne doit pas être déjà tracée! Vive les méandres!A bientôt.

[Mimi]

Le train de la vie , les moments forts et ceux que l'on redoute , tout cela contribue à faire de nous ce que nous sommes .Je suis venue lire et relire maintes fois ce billet et j'ai beaucoup aimé ce récit .Je vous souhaite un doux dimanche .Ici le froid est toujours présent Moins 13°C ce matin et ce vent qui glace , heureusement qu'il y a la chaleur des blogs amis et des amis :-)

[lune voyageuse]

Comme Zénondelle, je l'imaginais un peu comme ça votre "Cours de la Vie".

Comme Cookloubabette, s'étonner des choix que l'on a pu faire, des opportunités que l'on a pu saisir, retracer ce "CV" rarement linéaire ...

Quand on le peut, que le caractère s'y prête, c'est bon de bifurquer et emprunter une autre voie.

Bon dimanche malgré le froid ; vent du nord-est en région parisienne et radoucissement (0° tout de même) prévu pour lundi. Neige venue de l'ouest ?

[zenondelle]

C'est comme celà, à quelques détails près, que j'imaginais votre parcours. Il y a une telle cohérence dans votre façon de vivre, d'aimer, d'encourager, d'oeuvrer ... Je crois que vous êtes de ceux qui ne peuvent longtemps se mentir à eux-mêmes ... Authenticité et courage, la noble voie !

je vous embrasse