Le mois de mai...
...avançait doucement. Le soleil tardait à venir à son rendez-vous. C'était partout l'incertitude. Son travail avançait. Les choses prenaient forme et quelques murs oubliés (un simple débarras) se transformaient sous ses mains en un bureau, en un refuge. Et puis il y avait eu cette pause. La médiocrité à la place de... la médiocrité. Médiocrité d'une fausse gauche contre la médiocrité d'une fausse droite. Les gouvernants reprenaient leurs places... et les bouffons s'essayaient à de nouveaux noms, à de nouveaux visages. Il eut pu en sourire si ce n'était pas si grave. Lui, il voulait des hommes qui gouvernent avec des idées, avec des volontés, avec des générosités. Il ne voulait pas entendre parler de droits, de peurs, de groupes de pensées qui s'imposent, de refus de voir. Il voulait que la justice soit celle à laquelle il croyait, celle qui se rappelle des petits, des humbles, des modestes, des silencieux. Il ne croyait pas aux rodomontades de ces Tartarins de trois sous qui bien à l'abri de leurs confortables prébendes, se disent parler au nom du peuple. Il ne craignait rien plus que l'hypocrisie de ces gens élevés pour le pouvoir qui naviguaient toujours dans le sens du vent. Alors il rejoignait ses amis, les petits, les sans-grades, les grognards, les dévoués. Il savait que ces petits de l'âme étaient partout que ce n'était pas la fortune, ni la naissance, ni l'appartenance à une classe qui décidaient de ça, mais plutôt le choix de la vie, le choix qu'on fait d'aimer son prochain, qu'il fut grand ou petit, qu'il fut ou nom d'une classe mais bien simplement parce qu'il était son prochain. Il n'aimait pas ces matadors, qui partaient au "combat" en roulant des épaules et qui se jouaient de ce peuplle qu'ils disaient servir. Il aimait encore moins les hommes qui montaient les uns contre les autres. Son parti n'existait pas...sa foi, oui.
Alors quand on lui reprochait son silence, il regardait sur son bureau les mots qui étaient là. Parmi eux, certains en ce moment étaient trop dépités. Ils étaient des mots parmi les plus beaux mais on les avait tant grimés, on les avait si souvent travestis pendant ces dernières semaines, qu'ils avaient l'air triste des vieux ârtistes de cabarets, qui savaient qu'ils faisaient rire, parfois rêver mais que passé la porte on les oubliait à leurs tistes destins. Ils étaient les mots qui faisaient rêver les hommes. Ils étaient les meilleurs pour les berner. Il haissait les menteurs professionnels, les Don Juan de pacotille, les "rouleurs de mécaniques", les suborneurs qui se servaient ainsi de ses meilleurs amis. Il était content de voir qu'ils étaient revenus, même blessés, même meurtris, sur sa table de travail. Ils voulaient qu'on les rendit à leur vrai usage. Ils voulaient servir les hommes et non pas servir à les tromper. Ils venaient vers lui comme vers d'autres pour demander de l'aide, pour demander de servir. "Servir", peut-être le plus beau mot qui ne fut jamais inventé.
Alors l'homme il sortit de sa maison, fit quelques pas dans le village encore endormi. Derrière chaque porte fermée, derrière chaque volet clos, il y avait quelques uns des santons qu'il aimait à décrire et même ceux qu'il ne décrivait pas tant ils étaient anodins. Ils dormaient. ils rêvaient. Ils reposaient leur corps fatigués du travail du jour. Parfois, le sommeil ne leur servait qu'à oublier un moment de tristesse. Pour d'autres la griserie de l'amour troublait leur repos. Ils étaient là. Ils étaient vrais. Ce n'était pas des idées... mais des réalités. Chaque maison portait en elle les couches des civilisations qui s'étaient succédées à ce même endroit depuis plus de mille ans. Chaque génération avait ajouté sa marque, certains étaient nés là, d'autres venus d'ailleurs. Ça ne s'était pas passé sans heurt, sans violence. Certaines greffes n'avaient pas pris. Mais la sagesse des temps, la force de la terre en avait fait un peuple. Parfois des hommes étaient venus les agiter les uns contre les autres causant la mort et l'incertitude et le jugement...mais toujours, la vie était revenue...et le mistral avait chassé les mauvais rêves...et le soleil les avait réchauffé de ses chauds rayons.
Son choix serait toujours ce choix de protéger ces gens en s'appuyant sur les mots qu'il aimait tant et qui ne demandaient qu'à servir. Il rentra ensuite dans la maison, se sentit bien au creux de ses murs. Il se mit à sa table de travail.
Il pensa à tous ceux qu'il aimait, à ceux qu'il voulait servir. C'était terrible comme la liste s'allongeait chaque jour d'une vie. Il pensa aussi avec tendresse à ceux parmi eux qui lui faisaient la charité de le lire....et un dimanche matin de Mai, il se sentit heureux.