Moulins
Mon cher maître,
Il a bien fallu que je parte. Je vous avais suivi parce que j'ai cru en vous. Je voyais devant moi s'ouvrir les chemins de l'abondance et du bien-être. Puis j'ai d'abord souri à vos premiers écarts. J'y ai vu le signe de la faiblesse qui accompagne souvent les plus grandes destinées. Je me suis pris à vous aimer davantage, à vouloir vous servir encore mieux. J'avais envie que votre quête aboutisse, que vos combats aient un sens.
Plus les autres doutaient de vous et de votre monde et plus j'ai eu envie d'y croire. Je renoncais peu à peu à mes rêves, comprenant que le destin de Pancho n'était pas le bonheur terrestre. J'acceptai d'être le grotesque, le faire-valoir. Peu m'importait. Peu importe quand on sert un vrai maître. Puis ce fut de plus en plus difficile d'y croire et surtout d'expliquer au monde, de négocier avec les créanciers, de convaincre les fournisseurs. J'ai engagé le peu que je possédais, le "moins peu" que m'ont confié mes proches, et je me suis moi-même gagé pour que vous parveniez à Dulcinée.
Je ne voyais pas les moulins mais je vous croyais quand vous les racontiez. Et le temps passait. Le monde était moins monde. Le rêve était plus rêve. Je croyais même nécessaire les privations que vous vous imposiez et que vous m'imposiez à moi-même.
C'est devenu plus dur. Le monde vous fuyait de plus en plus. Bientôt je fus le seul à vos côtés. Etrange duo que le notre. La grandeur, le rêve et ce petit bonhomme sale et bien trop gros malgré les privations.
Mais si je vous quitte aujourd'hui mon maître, ce n'est pas aujourd'hui pour cela. Ce n'est pas pour votre recherche deséspéree mais simplement parce que ce matin j'ai vu sur votre visage ce que je redoutais le plus : vous doutiez de vous-même. Et si vous doutez de vous comment puis-je y croire ?
Je pars reprendre des forces. Rechercher ma vie antérieure. Vous m'avez enrichi de vos rêves et plus rien pour moi ne sera jamais comme avant et de cela jamais je ne pourrais vous remercier assez. Je reste à votre disposition, prêt à répondre à votre appel quand à nouveau vous serez vous. Mais je le sais et vous le saurez bien assez tôt : quand le fou devient sage, il faut renoncer à croire en lui.
Mais maintenant, chaque soir, en regardant le ciel j'y verrai les mondes merveilleux que vous m'avez fait connaître.
Votre serviteur,
Sancho