Une histoire de gauchers.
C'était encore la nuit. L'homme s'était levé, décidé de répondre à la sollicitation de ses amis. Il se mit à sa table de travail et écrivit :
Monsieur le Président,
Je sais que votre temps est précieux. Je ne vais pas l'èpuiser en vaines palabres. A la veille de ce dimanche, je veux juste vous raconter une petite histoire, qui ,je l'espère, vous détendra et vous portera à une plus saine vision des choses.
Il y a quelque temps, dans un pays dont le nom a peu d'importance, un homme, un gaucher, tout à coup prit conscience du triste état dans lequel sa gaucherie le faisait vivre. Rien n'était fait pour lui, les appareils ménagers ou autres étaient une source continuelle de tracas. Il se brûlait à l'eau chaude en croyant allumer l'eau froide. Les pédales de son auto étaient lui semble-t-il montées à l'envers. Enfant, à l'école, des droitiers arrogants avaient tenté de le forcer à se mettre à leur norme :"Tu écriras de la main droite", lui dirent-ils. il devint bègue. Ils renoncèrent . "Tu es gauche !" lui répétait-on à tour de journée. Lorsqu'il écrivait à l'encre de son porte-plume, il essuyait de sa main les mots qu'il venait d'écrire en salissant ses pages et se faisait tancer d'importance par le maître. A table il ne trouvait jamais son couvert à la bonne place et mille autres tracasseries qui lui rendaient la vie bien difficile.
Cependant, il grandit. Il s'adapta. Il apprit à trouver sa place chez les droitiers. Il remarqua que, plus il avançait dans le niveau des études, plus la proportion de gauchers augmentait. Il se dit que c'était plutôt un bon signe, que l'on pouvait ainsi surmonter cette épreuve. Il y gagna de l'assurance.
Plus tard, sur sa route il croisa une autre gauchère. Chez eux ils se rendirent la vie plus facile. Ils aménagèrent leur espace à leur guise. Les robinets, par exemple, furent montés à l'envers (ou plutôt à leur "endroit").
Ils eurent des enfants. pas un ne fut gaucher. Ils n'étaient pas rancuniers. Ils ne tentèrent même pas de les contrarier à leur tour. Ils réadaptèrent les robinets pour que les enfants ne se brûlent pas. Et bon an mal an, ils se satisfirent assez bien de leur état de gaucher.
Ils étaient 10 pour cent de la population. Ils trouvaient que le monde était bien injuste mais après tout on s'acclimate assez bien à ces différences. Ils taisaient le plus souvent leur état de gaucher et gauchère mais, quand quelqu'un le devinait, ils s'en tiraient par une pirouette, par un artifice.
Quand arriva une bande de gauchers malfaisants. Ils n'avaient pas su s'adapter. Ils en voulaient au monde entier à qui ils reprochaient très acrement leurs différences. Ils montèrent une cabale, un mouvement, une clique, un syndicat...que sais-je ? Ils l'appelérent le GAGA (Gauchers, ambidextres, gauchères, ambidextres*...car il n'y a pas de féminin pour cet adjectif). Ils ameutèrent les foules.
"Gauchers, gauchères, révoltez-vous, disaient-ils, des autres vous devez avoir les mêmes droits. Exigez le respect de votre différence."
Ils décidèrent alors d'obtenir que les droitiers continuent de rouler à droite mais que les gauchers puissent rouler à gauche !
Nombreux furent ceux qui crièrent à la folie, au suicide....mais la folie révolutionnaire ne tient jamais compte du bon sens ni des sages.
L'état était en crise, en crise économique, en crise d'école, en crise d'intelligence. Pas un parti n'arrivait à lui seul à s'imposer. Un petit personnage falot et insignifiant, décida, qu'en se mettant les gauchers dans la poche, il se créerait une majorité. Les gauchers et quelques autres insatisfaits firent la différence. Il fit des promesses, bien décidé à ne pas les tenir.... Il devint président.
Mais le temps passait. La "conjoncture" l'empéchait de tenir aucune de ses promesses. Les citoyens s'impatientaient.
Un conseiller,ou peut-être une conseillère, plus fielleux, plus malin, plus avisé, plus ambitieux, lui conseilla de mettre en place la proposition du GAGA.
"C'est une folie, c'est un danger, c'est un suicide. La société, vous allez mettre à sang et le monde, le détruire."
Il n'écoutait pas.
Tout le monde pourtant descendit dans la rue, battre le pavé, en espérant qu'une nuée de braves gens, de ceux qui jamais ne se plaignent, ni ne manifestent, saurait lui rendre le bon sens qui semblait cruellement lui faire défaut.
Il les méprisât. il ne voulut point les recevoir. Puis il céda et les reçut un soir, à la sauvette. Il commençait à comprendre... mais était bloqué par ce lobby, par ces GAGA.
Il s'obstina, l'inconscient. La loi fut mise en place.
Le premier jour, on compta plusieurs milliers de morts. Dès le second plus personne ne roulât. Le pays sombra dans le chaos. Heureusement ce président fut renversé et le bon sens repris ses droits. Mais mon Dieu ! quel inutile carnage.
Vous comprendrez monsieur le président, que si je vous raconte cette histoire c'est que je me dis qu'il peut être bon à ceux qui nous gouvernent de savoir tirer la leçon de ce qui se passa autrefois.
Que cette histoire reste un conte !Que la leçon soit bien comprise !
Je vous remercie du temps précieux que vous aurez pris à me lire.
Veuillez agréer monsieur le président, l'expression de mes sentiments les plus respectueux.
Monsieur Jacques
Puis l'homme se releva, plia la lettre, la timbra et l'envoya. Il en fit une copie qu'il mit à part et qu'il destinait à deux amis. Il ajouta ce mot.
"Mon cher Étienne, mon cher Pierre,
J'ai répondu à votre demande. J'espère que ce conte fera avancer les choses et revenir l'intelligence aux plus aveugles.Ma différence à moi est d'être gaucher, la votre est toute autre. Vous savez aussi bien que moi que la folie n'arrange jamais les choses. Nous sommes différents vous et moi et notre amitié est bien plus importante que cette loi inique et stupide que dans notre pays on cherche à mettre en place.
Avec toute mon amitié,
Monsieur Jacques