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et pourquoi ne pas le dire ?
20 mars 2013

Le jour de la Saint-Joseph.

La reprise de lundi avait été difficile. Toujours cette boule au ventre, cette attente, cette incertitude. Il y avait bien eu ce passage chez le dentiste. Il aurait aimé que l'on puisse anesthésier son esprit comme sa mâchoire. Il aurait aimé souffrir, avoir de quoi râler, être en colère. Mais pas de chance, son dentiste est un ami et aussi un très bon dentiste et après le réveil, il n'eut que quelques heures les traces de son passage et tout rentra dans l'ordre. Il ne pourrait pas dire que ce fut à cause de ses dents qu'il dormit si mal cette nuit là. Il guettait le téléphone, l'annonce d'une mauvaise nouvelle. Il scrutait les messages. Et la nuit passa et le petit matin le trouva fatigué. C'était le jour de la Saint joseph. On n'est pas paresseux le jour de la fête du saint des travailleurs. Il aimait cet homme qui travaillait de ses mains en élevant un enfant-Dieu. Il se dit alors que ce ne serait pas aujourd'hui mais peut-être demain, le jour de l'anniversaire de la mort de sa mère. Trop près l'une de l'autre ces deux dates. Il voulait voir ça comme une sorte de clin d'oeil du ciel. Et puis aussi  elle attendait un fils qui n'était pas encore arrivé.

Le matin aussi, il avait regardé ses messages.Il avait su qu'on leur interdisait de manifester sur les Champs Elysées. Il fut très en colère. Et tout ce pays qui fait semblant de ne pas savoir, ou qui ne sait pas. Mais il n'a pas le  temps. il en reparlera plus tard, et encore, et encore. On ne sépare pas les choses. la vie est un tout. Et il y a aussi le temps de l'engagement. Il s'engagera. A sa manière. Avec ses mots.

Il avait chargé sa voiture. Il faisait beau, une éclaircie dans un ciel triste. Il y avait de la neige sur le Ventoux. Il s'était dit que de sa chambre, elle devait voir aussi le Lioran couvert de neige. Sa chambre était au nord, une lumière un peu triste mais si égale, une lumière d'atelier de peintre. Puis il s'était arrêté une première fois pour déposer du matériel dans une de ces maisons qu'il aime et qui porte la marque de ces mains.  Une belle vue du Ventoux : on le voit de loin, sur le côté en le contournant par l'ouest. Partout les premières explosions du printemps qui tarde à montrer son vrai visage mais qui se laisse deviner. Quelques pêcheurs dans la rivière. "Tiens ! C'est déjà ouvert. "

C'est là qu'il avait reçu cet appel. La fille aînée de sa soeur. on la connaît mieux maintenant. Une voix solide mais triste, chargée de larmes. "C'est terminée. Maman est partie." On retient son émotion. on essaie de dire quelques paroles, quelques uns de ces mots qui calment. On parle de paix, de "il vaut mieux pour elle", de grandeur insoupçonnée de la Miséricorde Divine. On sait que ce n'est rien, mais la mort comme toutes les choses à ses mots qu'on a besoin de dire, qu'on a besoin d'entendre. La mort s'apprend aussi, comme la joie, comme l'amour, comme la vie. Il est content de se dire que les mots sont là, le résultat d'une vie, de ces autres morts vécues, trop nombreuses. C'est l'aînée ou plutôt ça l'était. Dans cette énorme fratrie, elle n'est pas partie la première. Ce fut la dernière qui partit en premier, tout de suite : le premier jour de sa vie fut celui de sa mort; il se souvient de ce cercueil d'enfant, presque un jouet, une toute petite chose. Ce fut ce qui brisa ainsi une longue ribambelle."Maman a eu quatorze enfants. Et le dernier est mort le jour de sa naissance."

Elle est l'aînée, Elle est la première de ceux qu'on a connu. Elle fit tout en premier : les premiers pas, les premiers rires, les premières larmes. Il y avait eu le temps du "tous ensemble" et puis celui du départ, et puis celui du mariage. il y avait eu le temps de la brouille, une longue séparation. Et puis le temps de la paix, le temps des retrouvailles, de la redécouverte.

Le téléphone à peine silencieux, il y avait eu une grande vague de froid. Quelque chose qui remonte du fond du ventre et qui vient éclater en ruisseau sur le visage. Pleurer. Il n'avait pas de honte à ses larmes. Il les retiendrait quand ce serait nécessaire, s'il pouvait. Il faudrait vendredi retourner la-bas. Un dernier au revoir. Il était heureux des derniers moments passés avec elle, de ce temps de la douceur, de la paix. On sait que l'autre sait. On n'a plus besoin de parler à mots couverts. il l'avait trouvé douce. Il fut là simplement auprès d'elle quelques heures.

La veille au soir, sa femme lui avait proposé de prier ensemble. ils ne le font pas souvent. Une sorte de retenue étrange des hommes et des femmes pour l'essentiel. Ils avaient ouvert le missel. Il avaient trouvé les mots, la page, les paroles qui apaisent mais qui restent toujours un peu mystérieuses. Il avait aimé ce moment-la. il aimait qu'elle sache, qu'elle sente le moment propice.

Il avait poursuivi la route vers son travail. Des gestes un peu mécaniques. Il avait terminé tôt.

il y avait eu ces mots, ces échanges de messages, ces appels. tous ces petits messages reçus qui vont droit au coeur. Il y avait eu ces appels : de sa fille tout de suite. Elle était en train d'appeler quand il avait appris la nouvelle. Puis ce fut Elle dès qu'elle reçut le message. Puis  son fils de quelque part sur la mer, au large de la Crète.  Puis il y avait eu cet échange au delà de l'océan et ce bébé endormi ,promesse de demain. Puis le message du dernier, tout en douceur aussi. Puis les autres messages, les petits mots écrits, clins d'oeils discrets de la tendresse. Il se dit qu'il ne faudra pas qu'il oublie de répondre. Il faut aussi soigner les gens qu'on aime et ceux qui vous aiment. Ils ne sont que trop précieux.

Ils n'avaient pas voulu, le soir, renoncer à leur réunion. Elle avait simplement dit à ses amis : "La soeur de Jacques est morte. On fêtera plus tard la naissance de notre petit américain." Car on le fêtera ce petit ange, mais plus tard, quand la vie aura repris ses droits. D'ailleurs la vie a déjà repris ses droits.

Et la nuit est passée. Ce matin il partira plus tard. Il écrira avant. Il faut aussi que la peine trouve sa place avec les mots, avec les phrases. Il faut s'organiser. Il faudra leur dire qu'on veut rester proches de ces enfants que la peine nous a permis de connaître un peu mieux. Il y aura l'enterrement. Il y aura les retrouvailles, les premiers rires, les premiers éclats de voix. Il se dit qu'il faudra leur dire, leur écrire peut-être, ce qu'il connait d'elle et qu'ils ne connaissent peut-être pas. Il faudra encore des mots. il viendront comme ce matin, se poser devant lui, en silence, avec retenue, avec délicatesse.

Il a le coeur gros. Il l'embrasse. mais il sait que tout ça est inutile et qu'elle sait en vérité ce qu'elle doit en penser.

C'était le jour de la saint Joseph. Il aimait que ce fut ce jour-là, à un an de l'anniversaire la mort de leur mère qu'elle les quitta.

 

 

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Commentaires
C
J'espère que tout va mieux malgré ce grand silence...
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C
quand je fêtais mon petit frère..vous perdiez votre sœur...<br /> <br /> de tout cœur avec vous...
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B
en union de prière, Jacques.
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H
"Une sorte de retenue étrange des hommes et des femmes pour l'essentiel" , en effet , comme c'est vrai. Toutes mes pensées.
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H
"La mort s'apprend", comme vous avez raison ! L'expérience ne permet pas de se résigner à ce qui fait si mal et nous révolte tant, mais elle nous permet de savoir qu'après la brulure et la violence de la douleur, revient l'espérance et l'humilité.<br /> <br /> En union de pensées et de prières.
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et pourquoi ne pas le dire ?
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