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et pourquoi ne pas le dire ?
28 mars 2013

Le petit homme en costume bleu marine (1)

Il est plutôt tendu ce matin, le petit homme en costume bleu marine.

La veille, il avait interrogé. Il avait écouté. Il avait entendu ce qu'il avait envie d'entendre : " mais non ! Monsieur le président. Vous verrez. Ils ne seront pas nombreux. Il faut dire qu'on a mis le paquet. On a menti sur les chiffres de la première fois avec une telle vigueur qu'ils ont bien compris le mépris qu'on avait pour eux. Les journaux se sont tus. L'un d'eux de temps en temps laissait paraître quelque billet pour dire qu'ils n'étaient rien, qu'ils ne représentaient personne. On leur a interdit les Champs. On les a fait patienter. Ils se décourageront. Et puis vous savez le peu d'importance qu'il faut donner a ces gens qui ne sont rien de plus que des consommateurs. Ils travaillent. Ils ont des familles. Ils paient des impôts. Depuis des années on les muselle. Dès que l'un d'eux se manifeste on trouve tout de suite le qualificatif méprisant qui le réduira au silence. Il est vraiment surprenant qu'ils se manifestent encore.
Le petit homme en bleu marine n'aimait pas ce conseiller. Il le connaissait bien. Il avait traversé tous les régimes, sorte de moderne Talleyrand. Il n'aimait pas ce cynisme. Il savait qu'il était corrompu, payé de tous côtés, vendu a tous les maîtres. Il n'aimait pas non plus qu'on lui rappelle son état. Mais il le croyait et, de toutes façons, il n'avait pas le choix. Il voulait croire,ce petit homme en bleu marine, qu'il aimait le peuple et qu'il le représentait. Il aurait aimé être quelqu'un  aussi  pour ces gens qui en silence œuvraient à des choses qui pourtant étaient belles : travailler, construire des familles, vivre chaque jour, construire des maisons. Mais il avait tellement vécu loin d'eux dans les sphères de la politique qu'il ignorait tout d'eux. Jamais il n'avait tenu d'outil, gagné son pain à la sueur de son front. Toute sa vie, il avait négocié, comploté, mené des alliances. Et il s'était dit qu'il avait eu raison lorsqu'il était arrivé à son but : il était le chef de ce pays qu'il croyait aimer et qu'il desservait sans cesse.
Ce matin, il était un peu anxieux quand même. Toute la semaine on lui avait amené des chiffres nouveaux pour le rassurer. Mais il savait qu'on lui mentait. Il y avait bien le général P. Il était de l'ancienne équipe mais il était resté là. Il lui avait dit qu'on lui mentait. Il le croyait car il savait qu'il était intègre. 
Ce matin sur son agenda il était inscrit :"Rien." Donc Il ne se passerait rien.
Un étrange pressentiment au réveil. Et les premiers chiffres qu'on découvre . Il paraît qu'ils sont nombreux à arriver. Les premiers cars étaient là à l'aube. Les voitures ne cessent d'affluer. Des midi l'avenue qu'on a fini par leur concéder se remplit de monde. À 14 h, heure du début du rassemblement, ils sont déjà assez nombreux qu'on doit ouvrir deux avenues adjacentes.
- "Combien sont-ils?" Demande le petit homme en bleu marine. 
- "Comme on vous avait dit monsieur le président : 300 000."
- " Vous m'aviez dit :100 000 à 150.000. Vous vous étiez déjà trompé du simple au double. Vous n'êtes qu'un incapable. Et qui sont donc les ânes qui font de telles estimations ?"
Le petit homme en bleu marine sort alors une calculette.
- .Faites venir le général P. " 
Il sait que l'homme ne lui mentira pas. Il les méprise ces militaires mais il sait qu'il existe encore chez eux ce sens de l'honneur et ce respect de la vérité qui manque cruellement aux autres conseillers.
- " Général. J'ai besoin de vous pour entendre des chiffres vrais.venez avec moi. J'ai besoin de votre aide. Prenez une calculette." 
- " Savez vous le longueur entre l'Arc de Triomphe et l'Arche de la Défense ?"
Le général réfléchit un instant. Il se souvient des calculs qu'il faisait quand il organisait les défiles. Il connaît le circuit par cœur. Mais il vérifie.
- "5500 mètres , monsieur."
" et la largeur de l'avenue de la Grande Armée ? "
- "70 mètres,  Monsieur, peut-être 75"
- "Et quelle est la densité de ce genre de manifestations ?"
- " Si elle est de 3, la foule semble très clairsemée. Ce doit être  plutôt 6 si on  est obligé de leur ouvrir d'autres axes."
- "Appelez le pilote de l'hélicoptère qui tourne au dessus de leurs têtes. Demandez-lui où ils en sont."
Le général s'exécute. Il revient. 
- " L'avenue est remplie de monde. Ils s'entassent. On a été obligé de leur ouvrir deux autres avenues qui se remplissent maintenant à toute allure."
- " Prenez votre calculette. Dites moi la surface de l'avenue."
L'homme calcule à haute voix.
- " 5.500*75=412.500"
- "Faites moi le calcul de la fourchette haute et de la fourchette basse."
- "Entre 1million 237 000 et 2 millions 475 000."
Le petit homme en bleu est très coléreux. Il entre dans une rage folle. 
- "Faites-moi appeler le préfet de police et le ministre."
Le ministre arrive en premier. Il n'aime pas le président. Il aurait aimé avoir sa place. Il n'avait pas été choisi. Il rongeait son frein. Il aurait aimé donner une belle image. Il était ferme. On le disait compétent, il avançait dans les sondages quand l'autre dégringolait, ce qui augmentait sa haine. Bien sûr, sa fatuité le rendait ridicule. Son mépris transpirait de lui. Les railleurs se moquaient de lui, de ses cravates, de ses allures, de sa petite taille. 
On ne peut dire ici les mots qu'il entendit mais il fulminait de rage lorsqu'il quitta le bureau. Il se heurta au préfet et d'un signe de tête lui fit comprendre l'humeur du président.
Le préfet était une de ses créatures. On était allé le chercher a quelques heures de sa retraite dans un endroit obscur où il ruminait son dépit. On lui avait fait miroiter ce poste. Il avait bien compris qu'en échange il faudrait obéir sans états d'âme. Il avait donné des instructions de fermeté. Il avait menacé les organisateurs. Il les avait trompé mais il était surpris de cet acharnement. 
Il reçut à son tour la colère de son maître.
Le petit homme en bleu marine était un peu calmé. Il renvoya le général et appela ses autres conseillers, les courtisans, ceux qu'il aimait entendre.
Ils le rassurèrent mais au fond de lui s'était installé un sentiment qu'il haïssait....l'inquiétude.
On entendait du fond du palais les cris de colère : "Mentez ! Mentez sans honte et sans vergogne. Faites taire les journalistes. Muselez les politiques. Salissez ! Méprisez ! Je veux du résultat ! " 
 
Voilà,mon ami, pour aujourd'hui la première partie de mon histoire. Demain tu sauras comment se déroula la fin de ce jour qui fut le premier de ceux qui précédèrent la chute. Pardonnez à l'auteur qui devant l'injustice s'est souvenu du temps ou son métier était de manipuler les chiffres..
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Commentaires
H
J'ai partagé. :-)
Répondre
et pourquoi ne pas le dire ?
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