Le petit homme en rose : Dénouement(2)...et fin de l'histoire
L'homme était impatient de savoir ce qui avait pu se dire lors de cette cérémonie du 8 mai. Il n'osait pas appeler son ami. Il attendit. Quelques jours plus tard le facteur apporta une lettre. Elle venait de son vieil ami. Il l'ouvrit. Elle était longue. L'homme se demanda s'il allait imposer à son lecteur de la lire en entier mais il ne put se résoudre à en retrancher la moindre ligne :
"Cher ami,
Lorsque j'ai reçu votre demande de recevoir votre ami Philippe, j'ai d'abord eu envie de refuser. Je suis très fatigué. Chaque mot, chaque geste me coûte.Il a fallu que je me souvienne des liens d'amitié avec votre père pour que je trouve le courage d'accepter. Dès les premiers mots échangés avec votre ami, j'ai senti ce dont vous me parliez dans votre lettre. Il y a chez lui une volonté de découvrir ses propres racines et de sentir autour d'elles la terre qui les a fait croître. On ne dira jamais assez combien l'amour d'une mère au travers des gestes du quotidien peut faire germer dans le coeur d'un homme de qualités cachés qui ne demandent qu'à grandir, malgré ce père absent et défaillant.
Il y a chez cet homme un mélange de pudeur et de curiosité assez étrange. Il m'a rapidement raconté sa recherche, votre rencontre et le sens de sa démarche. L'homme est intelligent. Un esprit clair. Des phrases courtes. Peu de sentiments révélés. Dés les premières phrases j'ai eu envie de remplir cette mission difficile. En quelques heures, en quelques jours, au travers de quelques écrits, partager avec lui un patrimoine que je n'ai toujours pas fini d'explorer à l'approche de la fin de ma vie. Je l'ai reçu dans cette maison de M... où vous êtes venus quelques fois. Nous étions en famille et j'étais ainsi dégagé des quelques rares tâches qui d'ordinaire m'incombent. Je lui proposai de passer quelques jours avec nous. Ce fut pour lui une sorte de retraite. Je découvris qu'il avait exploré déjà de sa propre initiative bon nombre d'auteurs et qu'il avait déjà accumulé beaucoup de matière première. Il questionnait. Je répondais.Il prenait des notes. J'avais le sentiment de l'aider simplement à mettre en place un puzzle dont il possédait toutes les pièces. Je ne sentais plus la fatigue.
A la fin de son séjour. Il remercia tout le monde avec la gentillesse et la simplicité qui révèlent la valeur des hommes et un sens inné de la politesse. Je lui parlai alors de cette cérémonie. Je lui proposai de m'accompagner. Il accepta.
Je ne vous raconterai pas cette cérémonie ni l'entretien dans son détail. Nous étions trois. Trois hommes : trois générations. Celui que vous appelez "le petit homme au costume bleu marine" était le chaînon qui aurait pu nous unir. Pourtant il était l'élément de fracture, l'intrus. Je ne connaissais pas l'homme. Je n'avais aucune sympathie pour ce qu'il représentait; Mais j'ai le plus profond respect pour les institutions de mon pays qui donnent à ceux qui en sont en charge une grandeur qui heureusement les dépasse. J'avais connu autrefois son père, à une autre période noire de notre histoire. J'avais du respect pour cet homme qui avait combattu avec nous à sa manière. Je savais que son fils haïssait cette époque et nourrissait pour elle une véritable haine et pour son propre père un grand mépris. L'homme au costume bleu marine était une sorte de renégat qui avait passé sa vie à vouloir effacer ce souvenir. Il en avait honte. Cette honte l'avait conduit à une suite de reniements qui, joints à l'ambition, l'art de la manipulation, la rencontre avec une femme qui portait en elle les mêmes trahisons, l'avaient mené à ce poste de pouvoir.
Nous pensions avoir peu de temps. L'homme au costume bleu marine me parla de ma vie. Il était intelligent. Il connaissait ses fiches. Il voulait probablement donner à des électeurs potentiels l'image du respect des quelques rares survivants que nous sommes. Rien n'est jamais gratuit chez les politiques. L'évocation de ma vie fut rapide. Je ne sais pas comment nous en sommes arrivés à parler de l'actualité de cette loi scélérate qui nous concerne tous. Au hasard d'une phrase votre ami répondit lui-même à une question qu'on me posait. Sans savoir pourquoi l'homme au costume bleu marine changea d'interlocuteur. La jeunesse attire les hommes politiques qui voient en elle leur avenir, leur électorat de demain, et qui espèrent toujours laisser une trace dans l'histoire. Votre ami lui raconta tout, sans retenue : son père, la découverte de sa situation, l'ignominie de cette loi pour des hommes comme lui, enfants de ces unions futures que la loi allait permettre. Chacune de ces phrases sonnait juste. J'avais l'impression d'entendre ce que j'avais toujours tenté de dire. L'autre ne savait que répondre. Sûr de se son intelligence il avait d'abord tenté d'argumenter. Mais au fur et à mesure des paroles de votre ami, ses arguments montraient leur vanité, leur mensonge. On le sentait touché dans son intelligence. Un de ces instants de grâce qu'on espère toujours. Peut-être aussi le sentiment qu'il n'avait rien compris et qu'en refusant son héritage il serait à jamais banni de l'histoire de son pays.
J'ai eu un bref instant le sentiment que tout lui apparaissait : la façon dont il s'était laissé manipuler par ces groupes de pouvoir, la nécessaire exigence de renoncerà cette loi, la profonde tristesse d'être passé à côté de sa vie. Il était si pitoyable qu'il en était presque touchant. Il se ratatinait sur lui-même. Il écoutait comme l'élève attentif qu'il avait du être. comme un enfant qu'on sermonne. Il ne répondait pas. Le temps courait. Il fallait bien que la conversation s'achéve. Il nous raccompagna avec tellement d'égards que je crus en une sorte de rédemption.
Dans la voiture qui me raccompagnait chez moi, votre ami était muet. Il avait accompli un très grand effort. Il ne prononça que les mots nécessaires pour remercier. Aucun triomphalisme. Aucune satisfaction d'avoir pu ainsi exprimer ses opinions. Il semblait épuisé.
Il ne fallu que quelques jours pour voir que le petit homme en costume bleu marine avait été très vite repris en main. Il promulgua sa loi. Aucun politique "installé" n'osa s'y opposer avec la force nécessaire. Les "Sages" avaient une fois de plus montré leur peu de courage.
Pourtant c'est avec un grand optimisme que je termine aujourd'hui cette lettre. J'ai vu, incarné par votre ami, se révéler une génération riche et généreuse qui semble enfin sortie de cette gangue de honte qu'on tente de lui faire porter depuis des décennies. Je me dis que ces jeunes gens, et les moins jeunes aussi, qui se sont engagés dans ce combat trouverons au fond d'eux mêmes les ressources nécessaires pour redonner à notre pays qui n'en a que trop besoin, son sens de l'honneur et de la mission qui lui incombe.
Il me faut cher ami, vous quitter, retourner à ma vie quotidienne. Vous transmettrez mon amitié à votre chère épouse."
C'est sur cette lettre et cette image d'espoir que je veux, ami lecteur, terminer cette histoire "du petit homme en rose". Je te remercie d'avoir bien voulu accepter de me lire et de m'avoir parfois encouragé. Si tu veux retrouver ce message et en vrac quelques autres écrits, je t'inivite à les les rechercher sur mon blog :