Hommage au Commandant de Saint Marc
C'est un de ces derniers beaux jours d'été qui surprennent toujours un peu. En Provence il fait déjà très beau ce matin et c'est bien de saison. Mais, à mesure qu'on remonte vers le nord, avec le flux des vacanciers, le ciel reste toujours aussi beau. Les vignes sont encore très vertes et attendent les premières vendanges. Un jour qui a encore des allures de vacances. Une autoroute qui s'engorge un peu en arrivant à Lyon. On se gare sans peine le long des quais et on remonte vers ce très vieux quartier de la ville qui égrenne ses églises au pied de Notre Dame de Fourvière : Saint Paul, Saint Jean, Saint Georges.
Ce matin est un jour de repos. Le "petit homme en rose" a laissé ses outils et a pris sa journée pour aller, à sa petite mesure, rendre un dernier hommage à ce grand homme qui vient de mourir. Pourtant cette belle journée, et ces beaux paysages sont loin de faire penser qu'il vient pour un enterrement. Ceux qui l'aurait croisé sur cette petite place en déjeuner en tête à tête avec une belle jeune femme, l'auraient sans doute envié de ce délicieux repas. C'est juste ignorer que ce beau quartier abrite dans un des ces magnifiques hôtels renaissance, l'aînée de ses filles.
Il est arrivé très tôt dans la cathédrale et a pu trouver une bonne place. Le parvis est déjà rempli des anciens combattants qui se regroupent autour de leurs drapeaux. La simple lecture des noms qui y sont brodés et les décorations qui y sont accrochées disent mieux que tout discours le parcours de peines et de souffrances de la vie de cet homme. Parmi eux nombre d'anciens légionnaires. Ceux qui, de près ou de loin, ont cotoyé cette étrange instiution ne peuvent longtemps résister à ses charmes. Des hommes qui renoncent à un passé, à une histoire, à un pays pour venir par amour servir le notre et y commencer une nouvelle vie. Quel plus bel exemple d'intégratio ? Et c'est sans parler de ce climat particulier de respect, de courage, d'amitié et d'affection qui lie au plus profond tous ces hommes entre eux.
Lui n'est pas de la famille, ni même des amis, ni même de ceux que cet homme aurait pu connaître sans le savoir. Il est tout simplement un admirateur, fier de ce grand homme et de ses semblables qui appartiennent au pays tout entier. Il est là aussi pour ceux qui auraient aimé y être , qui n'ont pu venir et qui ont mille raisons d'être reconnaissants. Il y a son père qui a connu les mêmes guerres et qui est déjà parti. Il y a sa belle famille qui a vécu en Algérie, qui comme lui a connu l'abandon et le mépris et qui sait ce qu'elle doit à de tels hommes. Il y a les quelques hommes qu'il a croisé dans sa vie et qui ont partagé les mêmes combats, les mêmes enfers, les mêmes trahisons. Il y a ses propres enfants et petits-enfants dont il sait qu'ils sont comme lui redevables à ces hommes courageux et déterminés.
Il y est aussi pour les rêves de grandeur, d'honneur, de devoir, de fidélité que cet homme et ses semblables ont su faire naître chez lui et ses amis dont beaucoup ont choisi la carrière des armes. Il est aussi reconnaissant à l'écrivain qui par son talent a su faire passer ses valeurs à ses lecteurs.
Il y a donc là une place dans les premiers rangs non réservés. Le choeur de la primatiale est fermé par des tentures pour raisons de travaux, ce qui réduit un peu sa taille et lui donne une allure différente. Il s'est installé à côté d'un homme qui aurait l'âge d'être son père. Devant lui trois générations d'une même famille. On comprend à leurs paroles qu'ils ont connu l'homme personnellement et qu'il était en prison avec leur père. Maintenant la nef se remplit très vite. Une chaise est restée vide. Un homme arrive, fatigué. Il est très âgé. Il s'appuie sur une canne. Il marche avec difficulté. Il entend mal. Il commente comme pour lui-même mais avec discrétion toutes les personnalités lyonnaises qui s'avancent vers les premiers rangs. Il porte sur sa veste une croix d'officier de la Légion d'Honneur. Il faut attendre longtemps et à chaque fois que l'homme se lève pour se détendre il reconnait quelque nouveau visage.
Il y a, comme à chaque enterrement qui rassemble un peu de monde, des gens qui se retrouvent, qui se reconnaissent et ce n'est pas parce qu'ils sont tristes qu'il n'y a pas un peu de place pour la joie des retrouvailles. La grande église se remplit et c'est enfin l'heure. Le cercueil s'avance, porté par de jeunes hommes, probablement des petits enfants. Puis une femme toute menue entourée de ses quatre filles et de ses petits enfants de blanc vêtus.
Le commandant avait quatre filles. L'une d'entre elles nous accueille dans un discours émouvant où on découvre que l' homme n'est pas seulement un héros, un de ces êtres hors du commun qui marquent l'histoire ( même quand, dans sa version officielle elle voudrait les ignorer) mais aussi simplement un mari, un père, un grand-père avec toute la charge de tendresse de ces formes d'intimité. La messe sera belle mais sobre. Chaque chose reste à sa place. On est dans la mesure et la délicatesse qui laissent à chacun sa place et ne font pas oublier Celui qui préside à nos destinées. On peut être héros, on n'en est pas moins mortel et à cette heure dernière il est bon que tout soit remis en perspective. Mais le cardinal sait rappeler aussi tous les fantômes qui ont accompagné cet homme et l'ont poussé à témoigner avec simplicité, avec humilité, avec talent aussi tout simplement parce qu'il pensait qu'il était de son devoir de ne pas se taire.
Deux mots reviennent souvent dans les quelques paroles qui seront dites sur lui : Courage et humilité. La devise :"Honneur et Fidélité" leur fait écho à sa manière. Puis la cérémonie se déroule dans le recueillement. On bénit le cercueil. On sort. Sur le parvis sont rassemblés les témoins militaires de la vie de cet homme : quelques Saint Cyriens, de nombreux légionnaires, et tous les anciens combattants regroupés derrière leurs drapeaux. Il y a aussi quelques officiels qui resteront silencieux. On s'organise comme sur une place d'armes. On salue le cercueil. On lui rend les honneurs militaires. Un homme s'avance qui a commandé la Légion Etrangère et qui dans son discours rappelle la carrière de cet homme et l'enjeu qu'il y a à conserver ces valeurs pour lesquelles il a combattu.
Quelques passants curieux s'interrogent :" Qui peut bien être cet homme qui rassemble tant de monde ?" On en a si peu parlé que beaucoup ignorent jusqu'à son existence. Les hommes qui nous gouvernent aujourd'hui sont si petits que l'idée même de grandeur les affole et les inquiéte. Ils mettent tant d'énergie à détruire toutes ces valeurs que prônaient de tels hommes qu'on comprend la hargne qu'ils mettent à vouloir vite les faire oublier.
Une sonnerie aux morts. Un chant qui vient des légionnaires et qui fait bouger en silence les lèvres de ceux qui le connaisse. Il y aura plus tard une réception à l'hôtel du gouverneur de la ville mais ce n'est plus notre histoire. Demain cet homme retrouvera sa place entre l'intimité de ceux qui l'accompagneront en terre et l'histoire à laquelle il appartient.
Et toi qui me lit, pardonne au "petit homme en rose" de n'avoir pas su, ni pu, ni voulu peut-être retenir sa plume et partagé avec toi ce moment d'émotion, de tristesse...et d'espoir.