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et pourquoi ne pas le dire ?
18 mai 2014

St Roch et St Eusébe.

A mes amis Toutoune et Michel qui sont en train de faire renaitre une belle maison, cette lettre trouvée chez moi dans une vieille malle de courrier oublié.

 

Paris, le 17 mai 1827

 

Mon cher Léon,

 

Tu me demandes souvent par quel étrange mouvement d'humeur j'aime tant retourner dans ma chère Provence, faire un si long voyage sur des chemins rudes et poussiéreux pour ce coin de France aux coutumes bien étranges  qui n'appartient à notre royaume que depuis  peu de temps. Paris, où me retiennent trop souvent mes affaires me semble bien artificiel au contraire de ceux que je croise chaque jour sur les beaux chemins de mon cher Comtat Venaissin.

Alors laisse-moi te conter cette étrange rencontre que je fis il y a seulement quelques semaines et qui m'a tant impressionnée que j'ai le sentiment étrange qu'elle fait intégralement partie de moi.

Je logeais chez mon ami Jacques et sa charmante épouse, une maison modeste mais que j'adore, dans ce village baigné par les Sorgues et ceint de remparts puissants. J'avais décidé de monter au sommet du Ventoux, cette montagne impressionnante dont la cime est complètement nue depuis qu'un de nos bons rois a puisé dans ces arbres pour se refaire une flotte et que les habitants, sans états d'âmes, ont transformé de si beaux arbres en pauvres tas de charbon de bois.

Il m'avait conduit la veille dans la bonne ville de Carpentras. J'avais passé la nuit dans une auberge un peu austère et j'avais décidé de partir dès l'aube. La route était longue, ma besace légère : je dormirais chez l'habitant ou au bord du chemin.

J'avais pris cette belle route qu'on appelle le chemin de La Fare et qui mène au pied du géant. J'avais à peine parcouru un quart de lieue. J'étais aux abords du village. Le chemin s'élevait joliment mais en douceur. En me retournant je pouvais voir les deux principaux clochers de cette ville si riante. J'étais joyeux. Il faisait frais ce matin de printemps. Je marchais en chantonnant lorsque j'entendis sonner une petite cloche insistante qui semblait m'appeler sans se décourager. Je cherchais d'où venait le bruit. J'apercus alors sur le bord du chemin un bien bel endroit : un charmant jardinet entourait une petite chapelle. Le jardin était petit et soigné. Un doux mélange de bassins et de restanques savamment aménagés pour gérer une eau souvent trop rare dans ces lieux.

Un petit prêtre, fort âgé et tout cabossé par les ans, agitait avec ferveur cette cloche. Quelques fidèles s'avancaient. Il était tôt : c'étaient là de pauvres gens venus passer un instant de prière avant de s'en aller travailler dans leurs champs. 

Je découvrais les lieux. La chapelle était petite bien orientée vers l'Est comme le sont toute nos chapelles. Un bâtiment petit, réduit à une minuscule nef, au fond trois marches de pierre menaient à un petit autel, encastré dans une belle niche, de chaque coté deux petits  renfoncements contenaient deux belles statues dorées, l'une représentait Saint Roch et son chien et l'autre Saint Eusèbe dont j'ignore l'histoire mais qui est très honoré dans la région. Derrière l'autel une petite abside ronde donnait seule  à l'édifice son allure de chapelle. Au dessus, un tout petit fenestron dans lequel un pauvre vitrail représentant Dieu : un oeil dans un triangle. La lumière du matin éclairait par là toute la pièce et donnait de belles couleurs au rare mobilier et aux quelques fidèles rassemblés. 

A l'ouest on apercevait une grande pièce qui devait probablement servir d'habitation à l'ermite et peut-être de sacristie. Par la porte entrouverte on découvrait un sol de grosses pierres plates et une cheminée éteinte à ce moment.

Le silence se fit. Suivit un bref office. Les messes basses du matin sont rapides pour les gens durs à la tâche. J'étais impressionné par la ferveur du prêtre et le recueillement des assistants.Ils semblaient comme nimbés par la lumière qui venait du petit oeil de boeuf au-dessus de l'autel.

Vint la fin de l'office. Au moment de retourner à la sacristie, le prêtre me fit le signe de rester là. Il demeura un long instant à se recueillir pendant que je l'attendais et, après un temps qui me parut interminable, il revint me chercher.

Il m'invita à le suivre dans la salle attenante à la chapelle. C'était une sorte de grande pièce à vivre, cuisine, salle à manger, salon et sacristie. Un pauvre escalier de bois menait à l'étage où devait se tenir sa chambre. Il m'offrit de partager son maigre repas : un peu d'ail frotté sur du pain et un verre de ces vins légers de ce pays où le soleil permet pourtant d'atteindre des degrés élevés.

Il me demanda qui j'étais, ce que je faisais là. Je lui racontais ma vie. Au nom de "Paris" il s'assombrit mais lorsque je lui racontais l'amour que je garde à ma terre, son visage s'éclaira. puis il se mit à parler des malheurs du temps. Il avait repris cette chapelle longtemps abandonnée après l'horreur de la révolution. Il l'avait remontée de ces mains avec l'aide de quelques pauvres gens. Il avait vécu cette période dans la clandestinité. Il était alors encore un jeune homme. Il préférait me parler du renouveau qui suivit, de la ferveur revenue. Puis une sorte d'émotion profonde s'empara de lui.

Il se tût. Il semblait habité par un songe. Les paroles qui sortaient de lui, sonnaient comme une prophétie.

"Il y aura une longue période de paix, puis de nouveau l'oubli et la désespérance. De longues années. Je vois ma chapelle retourner à l'abandon, puis transformée en grange et même livrée aux bêtes. Et puis un jour après de longues années d'oubli, je vois un couple séduit par ces pierres. Ils ont du goût. Ils rêvent de redonner un sens à ce lieu. Ce ne sera pas une chapelle mais le refuge d'une famille. Dieu y retrouvera sa place. Une habile restauration transformera cette chapelle abandonnée en maison de famille sans pour autant lui retirer son caractère béni.

Je vois des enfants et de jeunes adultes, des familles, des jeux, des réunions, des amis. Je vois la vie."

En disant cela, le vieil homme revenait à son état normal. Son visage respira à nouveau la paix. Il me donna sa bénédiction. On se quitta.

Un autre jour, je te raconterai la suite de ce voyage mais pour l'instant l'émotion m'empèche d'en dire plus. 

Je te quitte. Je te charge d'embrasser les tiens et j'attends avec plaisir l'occasion de vous revoir tous.

Ton ami, ton frère,

 

Baptiste.

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Commentaires
H
Il y a longtemps que je ne m'étais pas promenée sur les blogs, je commence par le votre... et je vais arrêter là pour aujourd'hui, ce que je pourrais lire ensuite ne sera pas aussi doux. Merci monsieur Jacques, que votre jour soit béni.
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et pourquoi ne pas le dire ?
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