Fier
Mon cher Artaban,
Votre fierté est légendaire et passée au travers des temps. L'homme que j'ai aperçu ce matin n'avait pas comme vous l'heur d'être gascon. Il vivait en Provence. Mais vous l'auriez aperçu en ce dimanche de juillet trop chaud et orageux, monté sur un vélo déjà un peu ancien et tirant sa petite charrette, vous vous seriez trouvé l'air bien modeste.
Il faut bien vous dire que la charrette contenait un trésor très précieux : deux petites princesses, un peu intimidées, serrées l'une contre l'autre, maintenues par de mauvaises ceintures de sécurité.
L'homme semblait hésiter. Il fit plusieurs fois le tour du village comme s'il cherchait sa route. En fait il désirait seulement se montrer dans ce nouvel équipage. Il eut été debout derrière le carrosse de la reine d'Angleterre pendant son couronnement qu'il n'eut pas été plus fier. Son habit pourtant n'était pas chamarré et ne comportait ni jabot de dentelles, ni haut de chausses. Un simple polo, un pantalon à manches courtes, une vielle paire de chaussures de bateau. La remorque ne ressemblait pas vraiment non plus à un carrosse. Elle avait fait son temps mais l'homme l'avait racheté d'occasion, persuadé de faire une affaire. Il avait fallu la laver avec soin, lui redonner un peu d'éclat. Il avait fallu aussi remettre le vélo en état après une longue période d'inaction. Et pourtant l'une et l'autre avaient fonctionné sans incidents.
L'homme écoutait avec soin les commentaires des passants, saluait de la main tous ceux qu'il connaissait et parfois même s'arrêtait pour donner le temps de contempler son trésor.
Les deux petites princesses, en petites robes légères, des lunettes de soleil sur le nez, s'enhardissaient à chaque tour de roues. Puis ce fut la campagne. On n'entendait plus que le bruit du vélo. Puis très vite on entendit les deux petites princesses réciter tout le répertoire de leurs chants et de leurs comptines. Il fut question de papillons bleus, jaunes ou roses.
Il fallut bien revenir au bercail . En passant sous le petit pont qui voisine le cimetière on prit soin de baisser la tête.
De nouveau le village, le marché, la maison, quelques photos, le retour.
" On recommencera, grand père ?"
"Bien sûr ! Peut être pas demain. On nous annonce un brave orage. Mais des qu'il fera beau."
Et chacun ce soir s'endormira la tête pleine de rêves. Et ce n'est pas le plus âgé qui en fera le moins.
Bonne nuit, ami lecteur. Je te souhaite à toi aussi de beaux rêves.