Résistance
Mon cher Papa,
Je ne sais pas tres bien par quels circuits célestes tu recevras cette lettre mais j'ai quand même envie de te l'écrire. Notre pays vit à l'heure des commémorations. Cent ans du début de la première guerre et soixante-dix de la libération après la seconde guerre mondiale .
Ainsi, hier c'était chez nous le souvenir de la libération du village. Une cérémonie bien émouvante : quelques figurants qui arrivaient en tenues de l'époque, une série de discours devant la mairie. La présence de deux officiers américains qui font le tour de la Provence et rappellent avec émotion ce que nous devons à leur pays. Je n'avais jamais assisté à ce genre de cérémonie : tout était très bien, les discours de chacun, l'apéritif et le repas qui suivirent où de nombreux villageois participaient.
J'ai pu échanger quelques mots avec l'officier américain sur cette épopée et je me suis alors souvenu de ta propre histoire : la classe de taupe que tu quittais pour t'engager "pour la durée de la guerre". Tu avais 19 ans. La campagne de 39, la défaite, l'armistice, les " compagnons de France" et puis la résistance.
Le pays délivré et ton incorporation définitive dans l'armée. J'ai recherché les dates dans tes états de service. Cette attente du débarquement de Provence, ces parachutages, cette remontée vers le nord et l'est comme officier de liaison américain. Ce métier d'officier que tu voulais atteindre par les études tu l'atteindras finalement en faisant la guerre. Capitaine à 24 ans, une légion d'honneur à titre militaire "au péril de ta vie", un croix de guerre, la croix de combattant volontaire, la croix de la résistance et même ( je ne sais trop pourquoi) la croix de Léopold décerné par l'armée belge. Tu remonteras en Allemagne. Puis tu retourneras à Paris auprès du ministre de la guerre avant de repartir comme instructeur en Allemagne. Tu ne sera resté "que" dix ans quand tu retourneras à la vie civile.
Tu ne parlais guère de ces périodes et tu te moquais volontiers de tous ceux qui s'étaient trouvé une vocation de resistant....une fois la guerre finie.
Tu n'as jamais voulu tirer le moindre avantage de cette période et tu restais toujours en retrait de toute sorte de cérémonie officielle et ce n'est que lorsque je préparais moi même mon dossier de prépa en école militaire que je découvris tout ce passé de guerre.
Ce soir j'avais envie de te rendre hommage, de partager avec mes quelques rares lecteurs l'évocation de ce beau sacrifice.
Il est de bon ton de railler les militaires et de ce moquer d'eux. Notre pays vit aujourd'hui une période que tu n'aurais pas aimé : gouverné par des incapables et naviguant à vue . Dans ce temps d'incertitude ça me fait plaisir de savoir que dans des époques encore plus noires des hommes comme toi ont su se lever et combattre.
Où que tu sois, cher Papa, je t'embrasse. Maman ne doit pas être loin, je l'embrasse aussi.
Dans l'espoir qu'on se retrouve un jour tous ensemble.
Ton fils,
Jacques