Un drôle d'orage...une curieuse nuit.
Des alertes partout. "Zone orange !". Cette année les orages d'automne, des Cévennes, ont décidé de rejouer plusieurs fois les mêmes scènes.
Ils s'étaient couchés inquiets : cette partie du toit qui n'a jamais été refaite va certainement laisser passer de l'eau !
Dès les premiers coups de tonnerre ils se sont réveillés. C'était la pleine nuit. Ils sont montés, la pluie est tombée. Seaux et serpillières ont bien joué leur rôle. Ça avait été très court. Il avaient gagné cette manche. Elle était partie se coucher. Il était resté dans cette salle "un peu atelier, un peu bureau, un peu salon" qu'ils avaient refaite cet été et où ils se réfugiaient volontiers, le soir venu. Il avait lu, parcouru quelques blogs, répondu à quelques courriers et l'avait rejoint bien plus tard. Il faisait presque jour lorsque le sommeil était enfin venu... pour trop peu de temps.
Et ce matin lorsqu'il avait rejoint son clavier plusieurs mots étaient là qui l'attendaient.
PARESSE ! Un gros mots, mou et sentant mauvais se pavanait devant les autres. " C'est moi, disait-il, qui ait mené la danse pendant ces dernières semaines. Il n'arrive à rien. Il s'inquiéte à nouveau du "matériel" et de ces dossiers qu'il n'arrive pas à résoudre. Il dort mal et justifie ainsi son peu d'ardeur dans la journée, ces sommeils qui le prennent à toute heure."
INQUIÉTUDE était juste derrière. Vilaine et grimaçante, elle menait avec la première une sorte de danse grotesque et macabre de triomphe.
Ce furent les deux mots que l'homme aperçut en premier et, honteux, il faillit se retirer une fois de plus.
Heureusement, il vit derrière, toutes petites une longue litanie de petits mots doux et gentils. C'étaient les EXCUSES. Elles étaient petites mais bout à bout elles avaient du corps, un sens, une force. En tête il y avait les plus déterminées, les JUSTIFICATIONS.
"Il y a eu le TEMPS. Un temps incertain qui n'a pas arrangé les choses."
"Il y a eu ce LIVRE qui ferait à lui seul un billet. Ce livre vanté et lu par les uns qui comme lui y avaient trouvé un sens, une explication d'un pays qui l'inquiétait, honni par les autres parce qu'il démontait un système dont ils tiraient grand profit. Il l'a lu sans pouvoir le lâcher"
"Et cette désorganisation de son emploi du temps. Il avait du changer un peu ces jours pour s'adapter aux autres et dans son univers instable ça lui avait coûté beaucoup."
" Ces démarches aussi, qui n'avancent pas. Il ignorait pourquoi et ce sentiment d'inconnu lui donne toujours un sentiment d'impuissance."
Il les aimait ces petites servantes modestes, toujours là pour le rassurer et parfois assez fortes pour le racheter aux yeux des autres.
Derrière les excuses, une forte lueur qui peu à peu remplit tout le bureau, puis toute la pièce, en chassant PARESSE et INQUIÉTUDE, c'était la petite ESPÉRANCE, entourée de jolies petites fées qu'on appelait les petites JOIES du quotidien.
Elles avaient de doux visages. Les trois premiers, il les reconnut tout de suite, un petit chevalier et deux petites princesses en ce moment en train de se réveiller dans un désert lointain. Sa femme et ses enfants qui voyaient à l'instant là où ils se trouvaient : ELLE dormait encore. L'aînée quelque part dans l'Est avec des amis retrouvés. La seconde partageait avec son mari, les trois premiers nommés, une nièce et son mari l'approche du désert. Le troisième en mer entre Indonésie et Vietnam et le dernier, parisien pour quelque temps, goûtait joies et servitudes des études.
Derrière par cercles successifs apparaissait les visages de ceux qu'il aimait et qu'il connaissait puis d'autres parfois qu'il aimait sans même les connaître. Au fur et à mesure qu'il les identifiait s'en présentaient d'autres : les souvenirs, les objets, ces santons de son village, les endroits familiers, son église, son clocher, le beffroi, les rues, les remparts, la rivière, le pont. Derrière, les hommes et les femmes qui partagent les mêmes émotions, les mêmes passions, les mêmes services. Un groupe particulier : ses frères et soeurs en partie rassemblés pour un petit week-end.
L'homme eut envie de les satisfaire tous et pour effacer définitivement PARESSE et INQUIÉTUDE leur fit ces promesses :" Je vous promets de sortir de cette torpeur, de remettre le quotidien entre les mains du Père, de me fixer sur le sillon de ma charrue, sur la ligne que je dois suivre. Je vous promets aussi de sortir tous les brouillons épars que j'ai écrit ces derniers temps sans les mener au bout, sans les faire paraître."
Et puis il se leva. Entendit du bruit et sut qu'elle se levait à son tour. Il salua ses lecteurs pour prendre un dernier café et commencer sa journée et son week-end.