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et pourquoi ne pas le dire ?
22 décembre 2015

Le conte de Noël du petit homme en rose

Svetlana avait 17 ans. C'est pour cela qu'ils l'avaient choisie. Ainsi elle sortirait plus vite du poste de police. Svetlana avait déjà connu plusieurs enfers, celui de la rue, celui de la prostitution, celui de la drogue. Et puis elle avait rencontré cette journaliste qui lui avait expliqué que ce n'était pas une fatalité et qu'il fallait lutter. Svetlana n'avait pas compris tout de suite pourquoi on l'envoyait salir ces lieux si calmes. 

Elle avait posé la question. Le " Tu n'es pas assez mûre pour la révolution !" qu'avait alors éructé avec rage la femme l'avait troublé. Mais il y avait aussi les autres, ses amies, d'autres filles de la misère et elle ne voulait surtout pas les décevoir.
 On lui avait dit : " Tu ne crains rien. La maire de la grande ville est des nôtres. Le chef de leur police aussi. Quant à leurs juges, je ne t'en parle même pas." Et puis il y avait cette récompense qui lui permettrait de passer quelques semaines  tranquilles à l'abri du besoin. 
Il était huit heures du soir. La cathédrale était déserte. 
Elle avait badigeonné son corps de ces expressions injurieuses qu'elle comprenait à peine : le langage de la rue,  le langage de la haine.  Elle avait enfilé par dessus un large vêtement qu'elle pourrait facilement arracher. Son large sac était plein d'immondices qu'elle devait répandre sur la crèche.  Elle attendrait le moment où le prêtre amènerait l'Enfant-Dieu dans la crèche et ferait alors le scandale espéré. 
Elle avait déjà répété plusieurs fois la scène dans un grand hangar où ils avaient reconstitué les lieux.
Elle s'avança et se mit à côté de la crèche, comme pour prier. Elle avait du temps. Elle s'assit. Elle regardait la scène. Le santon de taille humaine qui représentait la vierge semblait la regarder. Elle était belle comme une sœur et comme une mere. Svetlana eut l'impression que c'était elle qu'elle regardait. Il lui sembla alors entendre voix douce qui murmurait à son intention : " Regarde.....à côté de toi.".
Elle aperçut le petit bébé dodu et souriant que le prêtre ce soir poserait sur la paille. Elle le regarda. L'enfant à son tour sembla lui sourire. Son cœur s'attendrissait. Elle se perdait dans ses pensées.
Et puis elle entendit derrière elle un murmure dans sa langue natale. Un homme était agenouillé. Un homme jeune, barbu, qui évoquait le Joseph de la crèche ou bien un des bergers. C'était un militaire, un légionnaire comme l'indiquait le béret vert qu'il avait posé sous ses genoux. Il patrouillait dans le quartier. Entre deux tours de garde il avait obtenu l'autorisation d'aller prier. Il priait doucement dans leur langue commune. Il était à peine plus vieux qu'elle. C'était déjà un homme et encore un enfant.
Le cœur de Svetlana s'attendrit encore. Il lui sembla différents des autres hommes. Puis L'homme s'en alla , la découvrit et lui adressa un sourire.
Le temps passait. Bientôt la cathédrale se remplit d'une foule joyeuse et trop bruyante. Et la cérémonie commença.
Quelques chants de veillée et ce fut le moment. Le prêtre s'approcha pour prendre l'enfant. Il fut gêné par le sac de Svetlana. Il la regarda. Il eut l'air de comprendre, ou plutôt de savoir. 
Alors il demanda à cette jeune fille qu'il trouva belle, revêtue de cet ample vêtement un peu austère, d'apporter elle même l'enfant. Il la prit par la main et ce n'est qu'au dernier moment qu'il lui prit de ses mains l'Enfant-Jesus pour le poser sur sa petite litière de paille. Elle s'agenouilla. La presse était partout, avertie à l'avance qu'il y aurait un scandale. Il n'y eut rien de plus que ce miracle qu'ils ne voyaient pas.
 Il ne se passa rien d'autre que la magie de Noël. 
Puis la cérémonie prit fin. Svetlana avait oublié le pourquoi de sa venue. L'église s'était vidée et on l'a pria de partir. Elle sortit apeurée des réactions de ceux qui l'avaient envoyée là. 
Il n'y avait plus personne. Elle retrouva seulement le petit légionnaire, un peu timide, qui l'attendait devant la porte et qui lui dit. " Viens avec moi...et surtout n'aie pas peur ! "
Ce petit conte de Noël, c'est mon modeste cadeau. Je l'offre à mes amis légionnaires et/ou militaires. Ils sont nombreux. Je l'offre aussi à ces faibles femmes manipulées qu'on appelle "Femen" . Je leur offre mes prières de cette nuit de cette belle Année Sainte de la Miséricorde qui commence à peine.
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Commentaires
A
Cher Jacques, je retrouve chacun de vos récits avec plaisir. Des récits du quotidien, des moments de vie, simples, chaleureux et profonds, Je vous souhaite, ainsi qu'à vos Proches, un très beau Noël, moment de paix et de partage. JOYEUX NOEL.
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Z
Je suis plongée dans la lecture de Svetlana Alexievitch, "La guerre n'a pas un visage de femme" :)<br /> <br /> Comme un écho à votre conte :)
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M
Miséricorde... Sur tous les tons, dans toutes les langues, pour chacun... Merci, autrement dit !
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