Le jardin de la rivière
C'est un bien curieux jardin qui borde la rivière.
Un jardin potager entièrement clos de mur à l'exception d'un joli petit portail de fer forgé qui l'ouvre sur la place et d'une porte qui donne directement sur la rivière. Un jardin potager mais un jardin d'agrément aussi comme ceux qu'avaient nos grands pères. Un jardin où on imagine les hommes en chemises blanches aux manches retroussées et aux pieds nus sous les bas de pantalon relevés. Une ligne qui traîne et attend paresseusement un poisson qui viendra parce qu'alors la rivière est riche de toutes les espèces. Les enfants jouent et construisent des barrages éphémères, les femmes parlent, cousant, brodant, riant et se moquant doucement.
Dans un coin un des hommes est endormi. Sa semaine de travail a été rude et le petit vin rosé a fait le reste. Une tonnelle, un peu de fraîcheur. Le jardin est grand comme le jardin d'une maison mais on ignore pourquoi la maison n'est jamais venue et le jardin est resté jardin.
C'est un jardin que l'on se passe et qui n'a pas d'autre prix que le prix de l'effort. L'actuel propriétaire voulut l'acheter autrefois puisqu'il était en friche. Il demanda à celui qui le détenait de lui louer. L'homme lui répondit qu'il serait malhonnête de louer un bien que l'on ne faisait pas vivre et lui prêta sans contrepartie. Puis l'homme mourut et la famille le céda pour rien, une bouchée de pain : respect de l'homme qui travaille la terre. L'homme alors était jeune et les légumes succédaient aux légumes au rythme des saisons. Puis il fatigua et en laissa une partie en friche. Vient alors à passer le vieux curé à la retraite. Fils de paysan, il n'avait plus son jardin de cure et l'ouvrage lui manquait avec la retraite. Il avait besoin de la terre pour ressourcer son savoir des hommes et du bien et de la droiture. L'homme partagea avec lui. Récemment le vieux prêtre est allé retrouver ceux qu'il avait accompagné pendant des années. Une partie à nouveau est retournée en friche.
Jacques a remarqué que de plus en plus souvent ses promenades l'entrainent vers ce jardin magique. Un appel à la terre pour lui qui ne la connaît que finalement de très loin. Il rêve de partager à son tour ce travail et les fruits de ce travail. Je te donne mes bras, tu me donnes ta terre. Sans calcul, sans manoeuvre. Il rêve en fait d'un partage à trois, le propriétaire, un de ses bons voisins et lui dans une sorte de clan d'union sacrée autour de la terre.
On remettrait de l'ordre dans les rangées un peu rebelles. On bêcherait, on sarclerait, on cueillerait, on partagerait les récoltes trop abondantes..et les autres aussi. On se retrouverait en famille, entre amis dans ce lieu d'initiation et de mystère. On retrouverait l'ombre de la tonnelle, la bouteille de rosé qui fraichit dans la rivière et les lignes qui traînent. On aurait de nouveaux moments de palisirs simples.
Aujoud'hui ce n'est qu'une idée. Quelques échanges. Quelques paroles en l'air comme savent le faire les paysans. Un jour la parole deviendra peut-être une proposition. Une nouvelle source de travail, une nouvelle source de bonheur.
Pendant ce temps de fanfarons de tous bords se querellent pour les places d'en haut, espérant un jour quelque pouvoir. Ils ignorent et c'est tant mieux que seuls les simples, les purs, les humbles ont accès au bonheur. Ce bonheur qui ne se commande pas, qui ne s'achète pas simplement parce qu'il n'a pas de prix. Ce bonheur qui s'associe à la peine, à la quête. Ce bonheur qu'on a du mal à dire encore plus à écrire et c'est pourquoi vous pardonnerez à l'auteur de ces lignes de n'avoir su que bien médiocrement vous faire partager son rêve, ce jardin secret et mystérieux.
Mais ce texte, mes amis est aussi une prière lancée en l'air pour que flottant entre deux airs elle soit entendue et qui sait un jour un premier coup de bêche.
Passez une très bonne journée. Un petit temps d'absence. Tout au plus quelques jours. J'ai déjà hâte de vous retrouver.