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et pourquoi ne pas le dire ?
4 novembre 2011

Entre deux portes.

Bonjour mon fils(*),

Si tu peux lire aujourd'hui cette lettre c'est que j'arrive encore à te parler de coeur  coeur, d'âme à âme. Là ou je suis je ne peux pas m'exprimer, je ne peux plus partager avec toi ni aucune émotion, ni aucun sentiment. Mon univers est celui du lit, de la chambre. Je sais que tu t'inquiètes pour moi, pour ma souffrance, pour ces jours qui me restent. Tu voudrais qu'ils soient pour moi paisibles et doux. Tu crains que je ne sois pas assez entourée par des gens qui m'aiment. Je veux, par ces mots du coeur, ces mots de l'âme, simplement te rassurer.

Tout d'abord, ne crains pas d'eux et ne crains pas pour moi. Ils sont ce qu'ils sont. La plupart sont venus à ces métiers par choix. Par choix d'aimer et de servir l'autre. Certains se sont fatigués; d'autres parfois sont découragés; C'est juste la vie qui continue dans la maladie. Tous gardent au fond du coeur le grand respect de l'être que je suis encore et que je resterai jusqu'au bout. Ils le savent...et toi ne faiblis pas ! J'ai trop besoin de ton amour jusqu'à la fin. J'ai trop besoin que jamais tu ne te décourages.

Et puis, tu sais, le temps pour moi n'a plus trop de sens. Je ne sens pas trop bien ce qui m'entoure. Je suis dans un monde parfois trop feutré, parfois trop bruyant, au gré de l'effet de la souffrance ou des remèdes. C'est comme ça. Je n'y peux rien et lorsque mon esprit fonctionne encore je me dis que ce fut souvent comme ça dans vie très longue. Je n'y pouvais pas grand chose mais je savais recevoir avec joie le quotidien. Tu me crois très loin et je le suis un peu. Mon esprit fonctionne à un autre rythme. Vous êtes là, tous, parfois un peu troubles. C'est un peu comme si j'étais aveugle et que je ne vous sentais que par d'autres sens que ceux normalement prévus pour ça. Vous êtes là, auprès de moi. Douceur et grâce...et parfois inquiétude.

Je sens ton souffle quand tu m'embrasses. Je sens tes mains quand tu me touches. Je sais que ce sont les tiennes. Je sais que ces mains m'aiment différemment des autres. Je le sais parce que j'ai bien aidé à les faire naître et à les former à l'amour, au service. Ton visage est là plus présent que les autres. J'en vois déjà d'autres qui avaient disparu. Ils m'appellent aussi. Je leur dis "plus tard. Quand mon temps sera fini. Il ne faut jamais se précipiter ...même pour mourir".

Souviens toi de ce que je te disais lorsque tu étais enfant. "Ne crains rien. Il te sera donné le temps dont tu as besoin. Parfois il te paraît trop court, parfois trop long...mais il est juste le temps dont tu as besoin." Je te le redis avec force aujourd'hui.

J'ai entendu dire que tu voulais me ramener à la maison. Bien sûr que ça me fait plaisir...mais je ne veux pas que tu te sur-fatigues. Veilles sur toi aussi. C'est important pour nous deux. Je retrouverai avec joie tes murs, tes objets, tes odeurs, ceux que tu aimes aussi. Mais je ne veux pas que tu t'épuises. Tu as ta vie aussi ...et ce n'est pas la mienne.

Et puis je veux aussi te demander pardon ...ou plutôt t'expliquer. Il m'arrive parfois d'être dure avec toi, et même brutale. Rassure-toi, je ne suis ni plus gentille, ni plus méchante qu'avant ...mais encore plus maladroite et plus incapable de faire correspondre mes gestes à mon amour.

A cette heure-ci je pense que tu dois dormir, en tous cas je l'espère. Pour moi le sommeil n'a plus vraiment de sens. Se reposer de quoi ? Pourtant je tente de garder un rythme qui permette à ceux qui m'entourent de s'organiser et de ménager leur peine. Tu vas venir me voir aujourd'hui et tu vas sentir dans mon regard ou peut-être par un petit bout de sourire ce que je viens de t'écrire...en pensées.

Je t'aime. J'ai hâte de te voir. Je redouterai ton départ mais je le sais nécessaire. Tu vois rien n'a changé.

 

 

Maman

 

(*) ma fille

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Commentaires
B
Votre billet Jacques, c'est comme une petite lumière dans la nuit.<br /> Je crois comme vous l'écrivez si bien qu'il est aussi difficile de quitter ce monde que de devoir accepter le départ de celui qui s'en va.<br /> Mais les expériences de la vie qui bat aussi au rythme de la nature nous font traverser les saisons et chacune a son mot à dire, dans la tristesse d'un ciel gris comme dans la couleur chaleureuse d'un ciel rosé au couchant du soleil. Tout est sens, tout est respect, tout est échange même le silence !<br /> Vous avez ce don des mots qui savent traduire les sentiments. <br /> Dans notre jardin intérieur, nul ne sait sinon soi-même, tout l'amour qu'on a déjà engrangé ni l'amour qu'il reste encore à donner au-delà de ce que l'on peut comprendre.<br /> Sur terre, les roses ont des épines mais au jardin du Père, leur parfum enivre notre espérance et voilà la petite lumière qui renaît pour poursuivre encore la route et y rencontrer un conteur comme vous qui rassure et qui croit.<br /> Merci pour ce billet lumineux!
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H
Presque 20 ans plus tard, je maudis toujours ce matin de novembre qui m'a brutalement enlevé mon père adoré sans que je n'aie eu ne serait-ce que le temps d'envisager une fois ce moment. Il n'avait que 58 ans... Je ne sais d'ailleurs toujours pas si j'ai accepté ce départ cruel et pétrifiant, je ne crois pas.<br /> Tous mes aimés son partis vite.<br /> Mais en vous lisant, en imaginant cette situation, je me dis que cette lente torture de voir un être aimé mourir n'est sans doute pas plus enviable, pas plus... vivable, d'autant qu'elle est partagée.<br /> Je n'apprivoiserai sans doute jamais la camarde...<br /> <br /> Alors je veux croire qu'elle a été vaincue et qu'un jour nous nous retrouverons tous dans la lumière.<br /> Une petite bougie pour tous ceux à qui il manque quelqu'un, ce soir.
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S
J'ai eu la même réaction que Chiffonsmacarons ... ma maman est partie au printemps dernier ...<br /> Merci Jacques ...
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C
et me voici, en quelques secondes, revenue quatre années en arrière ; et me voici, en quelques secondes, en larmes. Mon père très aimé est mort doucement, s'éteignant en quelques semaines comme un jour qui baisse. Pas de grands mots mais une belle sérénité en quittant cette vie "bien remplie" comme il le disait lui-même.
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I
Nine, vous serez désormais dans mes pensées, car je traverse l'épreuve jumelle de la vôtre, avec l'arrivée de ma chère Maman en fin de vie. <br /> Jacques a su trouver de beaux mots pour exprimer ce que nos parents aimeraient sans doute nous dire sans plus le pouvoir.<br /> Courage à vous ! A bientôt.
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et pourquoi ne pas le dire ?
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