Entre deux portes.
Bonjour mon fils(*),
Si tu peux lire aujourd'hui cette lettre c'est que j'arrive encore à te parler de coeur coeur, d'âme à âme. Là ou je suis je ne peux pas m'exprimer, je ne peux plus partager avec toi ni aucune émotion, ni aucun sentiment. Mon univers est celui du lit, de la chambre. Je sais que tu t'inquiètes pour moi, pour ma souffrance, pour ces jours qui me restent. Tu voudrais qu'ils soient pour moi paisibles et doux. Tu crains que je ne sois pas assez entourée par des gens qui m'aiment. Je veux, par ces mots du coeur, ces mots de l'âme, simplement te rassurer.
Tout d'abord, ne crains pas d'eux et ne crains pas pour moi. Ils sont ce qu'ils sont. La plupart sont venus à ces métiers par choix. Par choix d'aimer et de servir l'autre. Certains se sont fatigués; d'autres parfois sont découragés; C'est juste la vie qui continue dans la maladie. Tous gardent au fond du coeur le grand respect de l'être que je suis encore et que je resterai jusqu'au bout. Ils le savent...et toi ne faiblis pas ! J'ai trop besoin de ton amour jusqu'à la fin. J'ai trop besoin que jamais tu ne te décourages.
Et puis, tu sais, le temps pour moi n'a plus trop de sens. Je ne sens pas trop bien ce qui m'entoure. Je suis dans un monde parfois trop feutré, parfois trop bruyant, au gré de l'effet de la souffrance ou des remèdes. C'est comme ça. Je n'y peux rien et lorsque mon esprit fonctionne encore je me dis que ce fut souvent comme ça dans vie très longue. Je n'y pouvais pas grand chose mais je savais recevoir avec joie le quotidien. Tu me crois très loin et je le suis un peu. Mon esprit fonctionne à un autre rythme. Vous êtes là, tous, parfois un peu troubles. C'est un peu comme si j'étais aveugle et que je ne vous sentais que par d'autres sens que ceux normalement prévus pour ça. Vous êtes là, auprès de moi. Douceur et grâce...et parfois inquiétude.
Je sens ton souffle quand tu m'embrasses. Je sens tes mains quand tu me touches. Je sais que ce sont les tiennes. Je sais que ces mains m'aiment différemment des autres. Je le sais parce que j'ai bien aidé à les faire naître et à les former à l'amour, au service. Ton visage est là plus présent que les autres. J'en vois déjà d'autres qui avaient disparu. Ils m'appellent aussi. Je leur dis "plus tard. Quand mon temps sera fini. Il ne faut jamais se précipiter ...même pour mourir".
Souviens toi de ce que je te disais lorsque tu étais enfant. "Ne crains rien. Il te sera donné le temps dont tu as besoin. Parfois il te paraît trop court, parfois trop long...mais il est juste le temps dont tu as besoin." Je te le redis avec force aujourd'hui.
J'ai entendu dire que tu voulais me ramener à la maison. Bien sûr que ça me fait plaisir...mais je ne veux pas que tu te sur-fatigues. Veilles sur toi aussi. C'est important pour nous deux. Je retrouverai avec joie tes murs, tes objets, tes odeurs, ceux que tu aimes aussi. Mais je ne veux pas que tu t'épuises. Tu as ta vie aussi ...et ce n'est pas la mienne.
Et puis je veux aussi te demander pardon ...ou plutôt t'expliquer. Il m'arrive parfois d'être dure avec toi, et même brutale. Rassure-toi, je ne suis ni plus gentille, ni plus méchante qu'avant ...mais encore plus maladroite et plus incapable de faire correspondre mes gestes à mon amour.
A cette heure-ci je pense que tu dois dormir, en tous cas je l'espère. Pour moi le sommeil n'a plus vraiment de sens. Se reposer de quoi ? Pourtant je tente de garder un rythme qui permette à ceux qui m'entourent de s'organiser et de ménager leur peine. Tu vas venir me voir aujourd'hui et tu vas sentir dans mon regard ou peut-être par un petit bout de sourire ce que je viens de t'écrire...en pensées.
Je t'aime. J'ai hâte de te voir. Je redouterai ton départ mais je le sais nécessaire. Tu vois rien n'a changé.
Maman
(*) ma fille