Une cane
Il s'était levé un mercredi matin dans un pays réchauffé où on pouvait enfin se remettre au travail. Se préparer. Partir. Pas trop de vent. Le jour venait de se lever lorsque, son sac à la main, il ouvrit le portail de sa maison. Il s'apprétait à la refermer lorsqu'il entendit un cri, plus exactement le "coin-coin d'un canard". Insolite dans cette maison qui se trouve au plein milieu des remparts de ce vieux village et où les quelques dizaines de mètres carrés de jardin sont justement les siens. Or, à sa connaissance, il ne possédait pas de canard. Il crut alors à une de ces plaisanteries d'enfants, une sorte de boîte à bruit qui se serait déclenchée à la fermeture de la porte. Il se demandait qui et pourquoi, dans cette maison sans enfant en âge de ces plaisanteries, lorsqu'il aperçut, posée sur la glace de la piscine une magnifique petite cane. Il faut préciser que son village est comme irrigué par un réseau de rivières et de canaux qui fécondent cette vaste plaine et qui lui donnent une belle prospérité depuis le moyen-âge. Ces rivières sont peuplées de colonies de cols-verts, de magnifiques canards, qui lui donnent encore plus de couleurs. Ces canards se risquent à l'intérieur des canaux qui traversent la ville pour le plus grand bonheur des enfants. Là c'était une cane. Un camaïeu de bruns et de beiges. Moins jolie que son coquet de mari avec son beau col roulé vert. Car au contraire des hommes, chez les animaux, c'est souvent le mâle le plus beau et le plus élégant de l'espèce.
Elle était là, au milieu d'une piscine profondément gelée, et avançait sur la glace. A cette heure elle aurait quand même pu le faire en silence plutôt que de risquer de réveiller les habitants encore endormis du village. Mais non ! Elle était là et visiblement elle désirait le faire savoir.
L'homme était comme un collégien, attentif à tout ce qui pouvait lui faire perdre du temps et retardait l'heure du début de son travail.
Il lui demanda :"Que fais-tu là ? Tu pourrais être avec les tiens, encore tapie au creux d'un buisson le long des rives de la Sorgue (c'est le nom de ces rivières). Tu pourrais réchauffer tes petits au creux de tes ailes au lieu de déranger tout le monde."
Elle lui répondit :" Qui es-tu pour te mêler ainsi de mes affaires ? Tu vois bien que j'apprends à patiner. La rivière est froide mais elle n'est pas gelée et j'avais envie de me mettre à ce sport. Quant aux petits ! si tu étais un peu observateur tu aurait bien vu que je ne suis qu'une jeune fille et que de petits je n'en ai point encore."
Elle se disait en elle-même :" Tiens c'est curieux ! Un homme qui parle mon langage." Elle ignorait qu'il existe ainsi des hommes qui parlent le langage des animaux. Il suffit d'en avoir vraiment envie. Et cet homme en avait besoin car les animaux savent plein de choses et sont les meilleurs des informateurs et c'est aussi par le truchement des animaux qu'il avait des nouvelles de deux petites princesses de l'autre côté de l'océan (mais c'est une autre histoire !)
L'homme reprit :" Et bien petite effrontée, tu devrais savoir que tu es dans ma maison. Ta place n'est pas dans les piscines."
"Je vous demande pardon, reprit alors la belle canette. Je l'ignorais. Puis-je cependant continuer à m'essayer à ce sport ?"
"Bien sur, ma belle. Fais seulement attention. Tu apercevras tout à l'heure d'autres humains dans ce jardin. Tu verras d'abord une jolie dame, puis un grand monsieur barbu. La jolie dame, c'est ma femme. Elle ne te fera aucun mal quand au grand monsieur barbu c'est un de mes fils de passage. Il est très gentil aussi...et d'ailleurs il n'est pas si grand que ça et pas si barbu que ça. Puis tu verras un chien rigolo et une grosse chatte. N'aie pas peur s'ils t'approchent. C'est simplement parce qu'ils voudront jouer avec toi. Ils sont si habitués à être ensemble et à braver la loi des espèces qui les a fait ennemis, qu'ils sont devenus non-violents. Tu ne le répéteras pas car je veux que les autres chats l'ignorent et ne viennent pas dégrader mon petit jardin. Moi je suis obligé de partir."
L'homme alors reprit son sac, le coeur en fête. Ce n'est qu'à la pause de midi qu'il reçut les premières nouvelles de la cane patineuse et même une photo s'afficha sur son téléphone. La bête avait passé la matinée à s'essayer au patinage. D'autres étaient venus par le voie des airs observer l'intrépide depuis le haut du mur et la matinée avait été cancanière. Le chat et le chien n'étaient pas allés très loin dans leur tentatives amicales. Ils avaient en horreur le froid et mettre les pattes sur la glace n'était pas de leur goût. Puis à midi la petite canette prit de l'élan en patinant, puis son envol et rejoignit les siens.
Ce matin elle n'est pas là. Pourtant la piscine à l'ombre d'un grand mur tout l'hiver va longtemps conserver sa glace.
La journée avait pris une autre couleur pour tous les habitant de cette maison qui se réchauffait enfin et l'homme se dit que cette canette méritait bien un nom et qu'il viendrait bientôt s'ajoutait à la liste des amis des deux petites princesses de l'autre côté des océans.
Bonne journée à tous ceux qui partageront l'histoire de ma petite canette patineuse.
/image%2F0955398%2F20240419%2Fob_fc4323_img-3470.jpeg)
/image%2F0955398%2F20240418%2Fob_391932_img-7146.jpeg)
/image%2F0955398%2F20240417%2Fob_bfe57b_img-3467.jpeg)
/image%2F0955398%2F20240416%2Fob_3ed227_img-1049.jpeg)