Printemps
Non, j'ai vraiment pas du tout aimé l'idée que tu sois mort. Pourtant hier l'église était pleine. Il y avait autour de toi ta famille solide, unie. Ta femme triste mais droite et tes enfants sympathiques, bien dans leurs peaux. Des petits enfants, déjà, qui ne comprenaient pas grand chose à tout ce monde, à cette fête qu'ils n'avaient pas préparé avant. Il y avait ta maman, tes frères, plein d'amis aussi. Il faisait beau, un peu froid, dans ce nord de la Drôme, dans ces montagnes. Dans ce cimetière qui domine toute la vallée. Comme toi, je crois à un après, à une éternité, et cela aurait du suffire à effacer la tristesse. Et bien non ! J'avais beau voir tout ça, j'étais triste. On ne se voyait plus souvent : vous étiez loin. Mais à chaque fois l'impression de s'être quitté la veille.
Et puis je me suis dit que tu n'aurais pas aimé que l'on soit triste pour une telle occasion. Tu aurais sorti une de tes blagues à trois balles et on aurait bien ri.
Alors cette fin de semaine sera gaie. On la consacrera à l'explosion de ce printemps qui s'annonce puis qui se cache et qui revient. En écrivant ces lignes j'entends déjà le chant de nombreux oiseaux. Hier avant de partir j'ai vu des oies sauvages le long de la rivière. En tous cas je crois. Je n'en avais jamais vu. Le jour s'est levé et le ciel est clair. La lune cette nuit était bien visible. Je vais enfin finir de nettoyer ce jardin laissé en plan. Je vais en faire le tour...et c'est facile : il n'est pas bien grand. Je vais voir où on sont les quelques tulipes qui pointent leur nez. Je vais finir de nettoyer les branches du mûrier que j'ai coupé depuis plus d'un mois. Je vais couper les plus grosses pour les brûler l'an prochain et faire des fagots des autres pour plus tard allumer les mêmes feux. Je vais nettoyer ma petite pelouse et réparer ses trous et ses blessures. Tout rendre propre. Peut-être aussi commencer à ranger cet atelier bien dérangé par l'hiver. Imaginer aussi quelques travaux dans la maison. Sortir les meubles de jardin et peut-être déjeuner dehors. Regarder l'état de la piscine. Du travail d'entretien, de nettoyage. On se fait beaux pour être à la hauteur de la belle saison qui approche, des dîners dehors et des amis qui vont venir.
Imaginer peut-être aussi, un endroit un peu spécial pour deux princesses qui viendront aux beaux jours. Une cabane. Un château. Le temps va passer vite. Il fera chaud au soleil et froid dès que l'on s'arrête à l'ombre. On jettera. On rangera. Et ce soir il fera clair. On aura envie que déjà les soirs se prolongent. On aura envie des après dîner dehors. De la fraîcheur qui vient avec la nuit après un jour trop chaud.
Je ne sais pas si c'est cette idée qui m'a sorti si tôt du lit. Avec le temps, le sommeil se fait de plus en plus difficile à retenir mais la fatigue n'est pas plus grande. Comme si on voulait compenser le temps qui file en le faisant durer davantage. c'est très doux cette idée du temps donné en abondance. L'impression de pouvoir plus facilement le partager, l'utiliser à mille choses.
Alors je vais mettre une tenue de travail. Pas celles de la semaine pour le travail chez les autres, pour le travail qui fait vivre aussi. Non celle des jours où on travaille pour soi, pour le seul plaisir, pour le seul bonheur. Celle des vieux velours usés, des chemises trop grandes et des pulls affaissés qu'on n'arrive pas à jeter et qui donnent à l'ouvrier du week-end des allures d'ancien riche déchu. Seuls le sourire que le bonheur lui met sur le visage et ce sentiment d'intimité avec le monde font qu'il reste facile de faire la différence.
Alors une fois que j'aurais souhaité un bon week-end à tous ceux qui lisent ces lignes et dont j'aime trop sentir la présence, je serai prêt. En route !