Un chat
Ma chère Réglisse,
Je ne suis qu'un chat. Tu avoueras que c'est curieux que ce soit moi qui prenne le temps de t'écrire.
C'est le premier été que nous ne passons pas ensemble depuis notre naissance, toi la petite chienne si drôle et moi, chat, le chat de la maison.
Les hommes, ces êtres si imparfaits mais que nous n'arrivons pas à ne pas aimer n'ont jamais compris que pour nous le temps n'avait pas d'importance, ni l'espace, ni l'action et qu'aucune unité ne venait troubler pour nous le sens de la vie. Les hommes se demandent où tu es mais toi et moi le savons bien.
Tu me demandes ce que deviennes les habitants de la maison, ces humains que tu aimes tant. Je peux enfin prendre le temps de te le raconter.
Depuis hier matin, la maison n'est de nouveau remplie que par nous trois. Elle et lui qui, peu à peu, reprennent en main l'espace, et moi, content je dois te dire de retrouver ma place entière.
Les deux petites princesses et le petit chevalier sont repartis pour quelques jours. J'ai cru comprendre qu'ils reviendraient encore quelques jours avant de repartir à nouveau dans un pays lointain. Leur père les avait rejoint et ils sont partis tous ensemble passer ailleurs quelques jours de vacances(.Les autres enfants sont repartis aussi, ceux que j'avais connu enfants mais qui sont devenus des hiommes et des femmes. Je te parlerai d'eux une autre fois.)
J'ai adoré les revoir mais ce n'est pas de tout repos. La plus grande aimerait que je participe à leurs jeux, la seconde plus espiègle me surprend souvent de ses espiègleries et je m'en veux d'avoir même, un jour laissé partir un coup de griffe. Quant au dernier, il utilise sa fonction de marche, toute nouvelle, pour me poursuivre dans les moindre recoin...mais il est si drôle !
La maison résonne encore de rires et de cris et de moments de bonheur. Comme si leurs anges gardiens avaient semé partout des traces de leurs passages pour que la séparation soit plus douce.
Nos maîtres semblent parfois un peu égarés. Elle, dont tu connais les dons pour organiser de tels rassemblements, semble un peu perdue de ce temps retrouvé après l'intensité de ces moment écus ensemble. Lui, semble avoir un peu peur de retrouver le rythme de la vie ordinaire. Je sens bien quand reviennent ses interrogations, ses inquiétudes, parfois son agacement devant un quotidien qui l'accapare et le soucie. Il passe et repasse devant son clavier sans s'y arrêter. Il prend un livre et le repose. Il parcourt durant des heures stériles les écrans de ses outils qui le relient à ses enfants.
Je viens de le voir se poser et écrire. J'espère que ce sera bénéfique. Parfois seuls ses amis les mots semblent lui permettre de retrouver son équilibre. Ce temps qui paraissait filer leur parait tout à coup trop long. Mais, chère Réglisse, tu les connais. Ils sont solides. Ils vont très vite retrouver leurs marques, leur vie à deux. Chacun de son côté, chacun à sa manière... mais surtout ensemble tous les deux. Je les vois regarder la maison, chercher de quelle manière ils pourront l'adapter encore mieux à cette famille qui grandit. Ils imaginent aussi les petites choses qui seront les surprises de "la prochaine fois". Ils savent bien le temps qui passent.
Quand j'observe les hommes, il m'arrive de les envier. Ils semblent dominer le monde, maîtriser le progrès, le confort. Je suis parfois surpris du curieux usage qu'ils en font mais ils vivent bien plus mal que nous ce quotidien. Il semblent qu'ils aient besoin de mots, d'idées, de rêves, de projets, de souvenirs. Et tout ça semble si compliqué alors que pour nous c'est si simple : dormir, manger, accepter quelques caresses et faire parfois semblant de pourchasser un oiseau ou une souris pour montrer que nous avons encore un rôle à jouer.
Eux, ils sont parfois pathétiques de ce besoin d'amour à donner et à recevoir.
Je le vois se relever. Il a du terminer d'écrire. Il a du se décider à se préparer et à partir à ses occupations. Il regarde vers la chambre où Elle dort encore un peu. Je le vois sourire. Il semble avoir repris des forces.
Je dois donc te quitter à mon tour, non sans t'embrasser, chère Réglisse.
Ricoré, ton vieux copain chat.