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et pourquoi ne pas le dire ?
7 juin 2011

Images de profs (3)

L'homme entre dans la pièce. C'est son premier cours de l'année. Comme chaque année il va voir passer toute une tranche d'âge. L' âge où on se construit, souvent seul, parfois aidé mais sans en avoir la vraie conscience. Une vie qui devient vraiment la "sienne".

Un homme ordinaire parmi des gens ordinaires. On le croiserait dans la rue sans le remarquer, si ce n'est peut-être un profond sourire permanent et une incroyable étourderie du quotidien. Ordinaire mais pas tant que ça ! Et si on y regarde de près on trouve toujours le détail insolite, les deux boutons décalés sur la chemise, les deux chaussettes de couleurs différentes, le noeud de cravate juste ébauché et abandonné en cours de route. Et puis peut-être un vrai don de ne suivre aucune mode, aucun courant. Des lunettes d'un autre temps, souvent rafistolées, une pipe légendaire à une époque qui sait encore atacher au tabac un vrai sens du plaisir plus qu'une menace permanente.

Il sera le professeur de tous les élèves de terminale : son échantillon de population préféré. Il les étudiera autant qu'il leur transmettra. Il leur dira même qu'il apprend d'eux chaque jour.

Autant de classes, autant d'introductions originales. Pour Jacques et ses camarades (il dit toujours "camarades", un mot trop galvaudé, qui chez lui a le bon goût de l'enfance, de la camaraderie de jeux et de malices), il parlera de son cours. "Rendez-vous compte, leur dira-t-il, que la France est le seul pays où l'on enseigne la philo à tous et pas seulement aux spécialistes (j'ignore encore à ce jour si c'était vrai) et avant même l'université. On vous laisse du temps non pas pour un savoir, mais pour mettre en oeuvre ce magnifique instrument qu'est votre intelligence. On vous donne du temps pour apprendre à réfléchir, pour ...Vous.

"Je ne serais qu'un modeste artisan qui vous apprendra l'usage des meilleurs outils !". Et pendant un long temps, sans autre trame que l'abondance de son coeur, il nous raconte la philo comme on raconte un grand amour. Puis vient la fin. "Puisque vous avez compris ce dont il s'agit, vous allez choisir un sujet, un mot, une phrase, une citation et vous écrirez à son propos ce qu'ils vous inspirent comme réflexions."

C'est alors le vertige qui commence pour les élèves. D'aucuns sont mal à l'aise qui ont le réflexe et le besoin d'être toujours guidés par des méthodes. D'autres y voient une occasion de facilité. Enfin pour certains, c'est un vrai vertige qui s'empare d'eux. Des copies étonnantes, très vite corrigées. Beaucoup se sont réfugiés dans les thèmes de leur bouquin, voyant là une sorte de piège, de manière de coller les élèves : difficile l'exercice de la confiance ! Pour Jacques ce sera peut-être le sujet le plus difficile de sa scolarité. Il va y mettre tout son coeur et toute son énergie...pour un résultat bien médiocre. Chaque correction copie donne à l'élève un véritable portrait de lui même, mais pas une analyse orgueilleuse ni pédante, plutôt un accompagnement dans de nouveaux chemins.

Un cours entre parenthèses dans une année charnière. La découverte du reste n'est qu'un mélange de bienveillance et de compétences derrière une vraie humilité. Et ce jeu de la découverte de l'historie de la pensée des autres, connus ou non, qui pour certains deviendront des compagnons de route. Et ce mélange entre l'exercice de la liberté et l'économie d'énergie dans cette liberté qui est le recours à la pensée déjà commise.

Il restera de ce cours beaucoup plus qu'une médiocre note obtenue à l'examen. Il restera l'amour de la pensée et ce véritable apprentissage. Voir ce que fait le maître, l'imiter parfois pour s'approprier le geste jusqu'à le faire sien. Et quel bel apprentissage que celui de l'amour de ses contemporains.

Il fallait bien un très beau sujet pour conclure ce premier lot de portrait.  Comme l'écriture est faible dans certains cas pour traduire tout ce que l'on voudrait dire !

Un peu de lumière dans un ciel de printemps aux allures d'automne.

Bonne journée.

 

 

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Commentaires
Z
Merci Jacques pour vos encouragements !<br /> Non je n'arrêterai pas d'écrire, car peu à peu cela devient comme une respiration, et je vais avoir plus de temps pour cela ... <br /> Du temps pour creuser l'étude philosophique, préparer le concours de l'agrégation, développer le travail d'acteur, et chérir ma famille.<br /> Mes élèves me manqueront, ils me manquent déjà, les rigolades avec mes amis collègues, mais les deux cent copies mensuelles beaucoup moins ...<br /> Bien à vous<br /> Zénondelle
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H
Ils sont beaux vos portraits. <br /> Ils sonnent très justes à vos yeux. <br /> <br /> Je peux dire avec ma maigre expérience, moi qui travaille au début de la route de l'apprentissage , que ces journées de classe me construisent et m'apportent infiniment plus que je ne dois apporter, enfin j'apporte qd meme bien qqchose je suppose !
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Z
Comme il est émouvant ce texte !!!<br /> On ne mesure pas les effets (dans les deux sens d'ailleurs) lorsqu'on est professeur, mais ils sont là.<br /> Hier, quelques-uns de mes élèves m'ont transmis leur enthousiasme d'avoir découvert la philosophie, et surtout d'avoir accès à leur propre liberté de pensée, infinie et créative. Et moi qui angoisse toujours de ne pas avoir abordé suffisamment de choses. Ce sont eux, les sages, qui mesurent bien leur travail accompli. Quel bonheur ! <br /> A voir absolument, aux éditions Montparnasse, le triple DVD consacré à Gilles Deleuze : L'abécédaire. Il fait écho à l'humanité que transpirent vos textes.<br /> Amitiés<br /> Zénondelle
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C
Un professeur de littérature qui met des livres fondateurs entre les mains d'une élève, un professeur d'histoire de l'art qui apprend à réfléchir face à une oeuvre d'art quelle qu'elle soit, un professeur d'histoire qui replace sa matière dans un contemporénéité qui déstabilise... Grâce à vous, j'ai repensé à tous ceux-là! A bientôt Jacques!
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S
J'aime vos portraits qui nous titillent les souvenirs! Je n'ai fais, comme beaucoup, qu'un an de philo, mais j'en garde un merveilleux sentiment de construction de ma personnalité. Ayant grandie dans une famille très militante où le débat était de mise, avec un grand respect de la liberté de penser, j'ai plongé dans cet espace que l'on m'offrait pour m'éclaircir les idées et comprendre que l'on est un humain respectable quoi que l'on pense et que s'il y a un jour à juger, cela ne peut-être que des actes et non la profondeur d'une personne...Bon, Sylvie, tu vas pas nous faire une discerte là, c'est mercredi ta pause café est finie, file tu as du boulot!! ;) Bon, ben, Jacques, au plaisir!
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et pourquoi ne pas le dire ?
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